Une "autobiographie" qui n'est pas une, enfin si mais tellement différente, l'autobiographie d'une vie et d'un système philosophique du bonheur, souvent très ardue à lire, toujours pleine d'éblouissements et d'idées électriques (faut recharger les batteries !). Lue dans le train, emportée pour la vie. Laissons Monsieur Misrahi parler du bonheur, puis de l'amour tout autre...
"La chose était (et est) claire pour moi : le
« bonheur » est possible et réalisable parce qu’il est un acte et
non une passivité, une passion. Et c’est parce qu’il est un acte de la liberté
désirante, l’acte même de la vie déployant son Désir et sa pensée, que le
bonheur est accessible en droit par tout individu. Et c’est pour cela, selon
moi, qu’il peut aussi constituer la référence fondatrice permettant
l’élaboration d’une éthique (à la fois « morale » et
« politique »).
Ces vérités, devenues pour moi des évidences, n’étaient pas
reconnues comme telles par un vaste public. Elles n’en restaient pas moins à
mes yeux des vérités et des évidences. J’en suis d’autant plus persuadé que la
lettre même de ma doctrine suppose que chacun invente sa vie à son gré, choisissant
lui même les Actes et les activités dont la synthèse constituera son bonheur
singulier. Et elle suppose en même temps, par l’universalité du singulier vécu
en profondeur, que chacun puisse communiquer et exprimer cette joie de vivre
qui, pour un esprit immanentiste, peut seule justifier la vie elle-même."
"Le « tout autre » n’était pas non plus pour moi un
domaine étranger à l’univers de Colette. L’expression ne désignait pas pour moi
d’autres amours que celui de Colette, elle n’était pas la réponse à une
insatisfaction.
Non. L’amour tout autre désignait pour moi (et désigne
toujours) une modalité totalement différente de la forme ordinaire et courante
de l’amour.
Il ne s’agit pas le moins du monde d’une opposition entre
amour charnel et amour spirituel.
Il s’agit d’une relation à l’autre qui exclut toutes les
dialectiques de la « passion » mais non pas l’intensité du sentiment
vécu. Plus précisément, l’amour tout autre, après et grâce à la conversion,
exclut toutes les réactions de la réversibilité passive. C’est à dire toutes les
attitudes qui calculent ce qui est reçu et ce qui est donné, et qui
retournement vers l’autre les coups ou les dons qu’on a pensé en recevoir. Le
tout autre exclut donc le ressentiment, la jalousie, la vengeance, l’exigence
aussi et la domination, autre nom de l’amour aveugle de soi-même.
Cette forme d’amour, sans exigence ni réversibilité,
uniquement fondée sur la réciprocité de la reconnaissance, j’ai toujours eu à
cœur de la vivre réellement. Qu’il s’agisse, à différentes époques, de mes
jeunes amies ou plus tard de femmes actives, j’ai toujours déployé une forme de
relation sans cohabitation, sans devoirs ni exigences, sans jalousies ni
oppression. La réussite, la vitalité,(non certes l’éternité) de cette forme
d’amour non-rencontrée dans la littérature ni dans les rapports cliniques des
psychothérapeutes, cette réussite de l’amour qui permet de parler d’amour
heureux, suppose évidemment que les deux protagonistes aient accompli leur
conversion réfléchie, leur libération intérieure préalable. Voilà pourquoi mes
amies furent toujours des philosophes, ou des êtres de culture. Seules
l’autonomie et l’intelligence respectives des sujets pouvaient permettre
l’accès à une forme de l’amour qui produise joie et sérénité, et non pas
angoisse et drame.
Nulle revendication matérielle n’intervint jamais dans ma
vie affective et la réelle tristesse de telle ou telle séparation ne dura
jamais longtemps, n’entraina aucune récrimination et n’empêcha jamais le retour
de la sérénité à la lumière de la conversion et du choix de vie."
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