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mercredi 28 novembre 2012

Kantan et haïkus, fin de mercredi



La douce quiétude de rencontrer une petite histoire parfaitement accordée non à soi mais à l'atmosphère d'un moment. Il fait plutôt gris et frais mais pas seulement, je reviens de la belle exposition  Résonnance du silence de Jeannette  Leroy à la Base sous-marine pour l'occasion toute lumineuse, j'attends Sylvain le plombier rigolo qui s'acharne depuis trois jours sur mes tuyaux, Lights out Asia résonne dans le salon, et les nouvelles de Mariko Koike parachèvent l'ensemble. Je viens d'écouter Nine Antico chez la divine murmurante (enfin, en tout cas, elle crie pas), bien sur tout n'est pas à sa place, mais il y a dans ce recueil de nouvelles d'une jeune japonaise, Je suis déjà venue ici, pris au hasard,  l'écho moelleux quoique parfois violent sentimentalement d'un entre-deux incompréhensible mais accueillant. Des histoires que j'aurais bien vu dessinées par une Kiriko Nananan délaissant la jeunesse pour s'approcher des trentenaires et quarantenaires japonaise, qui vivent leurs désirs et leurs vies en toute liberté.
Et puis il y a cette nouvelle délicate et délicieuse, Kantan et haïkus, qui en vingt pages raconte la rencontre, enfin la deuxième, entre un vieil homme et une femme de 30 ans. croisés dans le train, ils se retrouvent dans un hôtel au loin, et vont simplement se parler un peu d'eux, surtout de lui, dans un bar. Et dans ces pages, où affleurent discrètement et tendrement les failles des vies vécues, cachées dans les années qui s'amoncellent, surgit finalement l'écho aérien de ce que peut être une journée comme ça: le regard derrière les vitres, les apparts en face, les pensées qui se bousculent, les sons et les souvenirs, les rêves et les gorgées de réalité. Je pense un peu à tous les gens que je connais, cette nouvelle m'enveloppe comme une douce couverture, et la fin de l'après-midi est là, ainsi, comme toujours. Mais finalement pas tout à fait. C'était ainsi, aux abords de cet aujourd'hui.






mardi 27 novembre 2012

Les mystères de l'est

Et hop, le voilà le film de mon année 2012, il était temps qu'il surgisse...



Bon, moi et les pays de l'est, c'est une vraie histoire d'amour toujours en cours (été 2013, je repasserai par là), et si pendant deux ans la Corée du Sud a squatté le génie cinématographique avant de s'écrouler comme un château de cartes, la Roumanie après une explosion inoubliable il y a quelques années (Ah La mort de Dante Lazarescu, Ah 12h08 à l'est de Bucarest, Ah la découverte des vieux Pintillé des années 70, Ah Califonia dreamin', Ah mardi après Noël...), a su malgré la désormais rareté nous envoyer des oeuvres  intenses et explosives.

Donc le choc...les 2h30 du nouveau film de Cristian Mungiu, Au-delà des collines, sont une déflagration comme je les espère toujours et les aime follement. Un système béni, si j'ose dire ici: le minimalisme pour atteindre à tous les maximums, soit là un monastère minuscule perdu dans la campagne, une fille qui surgit on ne sait pourquoi, et qui retrouve son amie-amante-aimée, on ne saura jamais trop, désormais recluse dans ce lieu fascinant, à rebours du monde et du temps présent. Des orthodoxes coupés de tout. Et la passion qui refait surface, car cette fille veut son amie, et ne peut plus l'avoir car celle-ci aime Dieu, dit-elle...
A partir de ce canevas qui aborde des thèmes qui m'indiffèrent - la foi - et qui me fascinent - les excès délirants de toute passion - se met en place un film au cordeau, où rien n'est neutre mais tout est intense. Pas de musique, deux actrices sublimes, une  toute petite communauté religieuse hallucinante, un pays, quand on le voit, en déréliction, et un choc des cultures qui là aussi quand on le voit, rarement mais à des moments clés, décuple l'étrangeté de ce monde religieux là.
Etouffant, explosif, repoussant toutes limites du raisonnable, magnétique, mille fois plus impressionnant que L'exorciste qu'il rejoue sur un mode réaliste, cet Au-delà des collines tient les propositions de son titre: aller au-delà, emporter dans des régions du coeur et de l'esprit que les films vus cette année accostent avec tiédeur pendant qu'ici tout est fiévreux. Plus ça avance, plus ça tourne en rond, plus ça se répète, plus je me recroquevillais dans mon fauteuil, pas par faiblesse, mais par dépassement: waouh, au moins, là, quand tout s'arrête, demeurent les énigmes et les effarements. Une bombe à retardements, qui pourtant explose à chaque minute. Je le redis: de mon petit point de vue, c'est le meilleur film de 2012. Et que respirent encore ces cinémas là, longtemps, longtemps...

Pas souvent , jamais même, que je mets du jazz...je crois que c'en est !




dimanche 25 novembre 2012

vendredi 23 novembre 2012

"...sauf toutes !!"

Alors j'ai mangé des huitres et bu plein d'alcools chez Agnès la reine de presque tout ("alors les mecs, une petite bière ??!!"), ai surveillé la porte pendant qu'elle arborait son couteau de bouchère, fumé des joints avec mon Seb puis sans mon Seb, écrit à mon Boris qui lose de plus en plus !!, attendu Morgane qui a préféré boire et boire et boire encore plutôt que venir fumer ( ya plus rien, bien fait pour toi !!), passé une semaine délicieuse avec mon ptit gars - on parle, on parle, et puis on a marché dans les rues, ce ptit voyou est allé seul voir enfin la jolie fleur qui veut plus me voir, on a fini de lire ensemble l'incroyable Timing de Kang Full et relire ça en sa compagnie c'est comme tout redécouvrir, revivre, j'ai trouvé nécessaire de crier toute mon admiration à la formidablement jolie dame de la radio, et Cyril n'en a rien manqué ! et puis c'est tout, mais c'est pas rien !



La bonne petite surprise de la semaine dernière, c'est ce concert de Dillon que j'avais donc gagné sans même savoir qui c'était ni même que j'avais joué. Ya quand même un peu de monde au I-boat, et si j'y suis allé un peu à reculons, et ai écouté poliment une Call me Kat en première partie pas très convaincante, je me suis dit que j'écouterai un peu Dillon avant de partir mais non, bonne pioche. une ambiance sombre toute calculée, on verra jamais le visage de la demoiselle, ça j'adore, une chanson qui doit faire la musique d'une pub vu que le public a approuvé le second titre (à bas la pub, définitivement), et donc un concert glacé mais très prenant, électro, dark mais où la voix cristalline de la jeune cachée fait merveille. Parfois ça s'emballe, parfois c'est tout fragile, et au final, eh bien je suis pas loin d'être amoureux de la mystérieuse incognita. Je me précipite sur les T-shirt à la fin, 25 euros ??!! bon ben non !!


Un passage au ciné, pour retrouver les Frères Taviani et je l'avoue, je pensais qu'ils étaient morts depuis quelques temps...mais non, à plus de 80 ans ils récupèrent un prix à Berlin, et livrent un film étrange, aride certes, ardu obligatoirement, mais original et resserré: César doit mourir, ou la mise en scène d'une pièce de Shakespeare par une troupe de prisonniers d'un secteur à haut risque d'une prison. On assiste donc au casting, répétitions puis pièce, fragmentée, sans jamais vraiment savoir où est le jeu, où est la vie, où est la pièce.  C'est donc souvent troublant, la ligne de partage entre leur vie supposée (passée) et celle des personnages de la pièce étant particulièrement mince. Pas le film de l'année, certes, mais une oeuvre vraiment à part, de la part de deux frères dont je n'aurais jamais imaginé allé voir un film en salle. Eternité inattendue.



Plus radical encore mais aux antipodes, le Saudade de Katsuya Tomita signe le retour inattendu d'un certain cinéma japonais qui me rappelle étrangement mes 25 ans: un film de près de 3 heures, tourné loin de Tokyo, dans une ville un peu perdue, suivant le quotidien d'ouvriers et les soirées hip-hop du coin, à grands coups de scènes réalistes comme prises sur le vif, construisant peu à peu une mosaïque débordant de souffles de vie: ah ben zut, yavait longtemps qu'un film asiatique - autant dire le cinéma du monde le plus intense - n'avait pas été aussi proche des gens et du pouls de la vie quotidienne. Avec en "prime" un tableau assez effrayant d'un racisme "ordinaire" tourné vers les émigrés brésiliens (j'avoue, je savais pas). Ca m'a rapellé cette lointaine époque où des films japonais surgissaient constamment sur nos écrans, qui se souvient de Okaeri par exemple ??!, je les voyais tous, d'un autre côté il n'y avait là nulle nostalgie mais bien un héritage. pas un regard en arrière, mais un bloc de cinéma tourné vers le présent, et donc lorgnant vers les demains. Asie, mon amour.

Quelques BD lues chez le Zucco pour finir. Je pleure toujours ma bibliothèque bordelaise fermée jusqu'à visiblement minimum mars (ah mais nooooon !) mais j'ai quand même pu lire l'excellent Hitler du décidément indispensable Shigeru Mizuki: après l'inoubliable Nonomba, l'effrayant Opération mort, voilà la biographie assez étonnante, aussi juste (quoique très incomplète) sauce manga du dictateur. On suit sa vie, tout est certifié conforme par l'historien Zucco (Boris ne lisant pas il n'a pas donné son avis ha ha ha !!) et c'est finalement une façon fort pertinente de "découvrir" cette époque et cette mégalomanie délirante. Avec en plus le style unique de Mizuki, qui bizarrement colle bien avec les situations follement effrayante du récit. 

J'ai jamais été un grand fan de Chabouté, toujours trop classique pour laisser affleurer de réelles émotions. Sa dernière oeuvre, Un peu de bois et d'acier,  est certes à part, car muette, l'histoire d'un banc et de ce qui se passe autour. Ca se lit tout seul, par petites touches c'est toute une vie qui se crée autour de ce banc, mais ça a aussi les limites habituelles du monsieur: c'est bien vu, attachant, mais voilà: rien de plus. Agréable, mais anecdotique.






Manu Larcenet poursuit son cycle Blast en partant dans toutes les directions. L'oeuvre est toujours aussi étonnante, mystérieuse, mais je sais pas lire des séries en cours, encore moins en parler. Les surprises thématiques et graphiques ne sont évidemment plus aussi présentes, mais soyons justes: il faudra attendre le cycle complet pour mesurer ce qui s'est joué là.







On finira sur un très sympa polar, enfin thriller plutôt je crois, chez les souvent excellents Sonatine (traduction: pris au hasard mais la collection assure souvent - et j'aime bien les collections). Bonne pioche là, avec le Blue Jay way de Fabrice colin, un habile mélange de Bret Easton Ellis (lieux, personnages) mâtiné d'un frenchy bon enfant plongé au milieu d'un Los Angeles richissime et décadent, un mystère à la sauce des serial killer introuvables type Ellory, et une construction habile avec des retours en arrière sur des événements n'ayant rien à voir avec l'histoire...jusqu'à ce qu'on comprenne. Ca se lit tout seul, ça inquiète, ça intrigue, et ça confirme que chez Sonatine, ya très souvent d'excellents polars, et celui-ci a été lu avec délectation. Et ça fait du bien !

Je dors debout en fin de semaine, alors autant planer debout avec l'électro IDM démesurément douce du génial polonais Pleq...beaux rêves, belles réalités...




mardi 20 novembre 2012

Expressway (to yr books)

Un titre spécial rock indé des nineties ! Revue en très grande vitesse de quelques bons bouquins lus récemment...

Mon premier roman taïwanais, ya un début à tout. Récit de lune de Guo Songfen est un court texte intimiste pour finalement laisser exploser une injustice sociale vers la fin. C'est certes dépaysant, et surtout cela fait étrangement écho au cinéma taïwanais que je suivais tant avant et qui a quelque peu, non totalement, disparu des écrans: c'est feutré, élégant, et pourtant ça progresse et attaque. Une histoire de couple pour dire la société. Jolie curiosité.





Le 14 de Jean Echenoz m'a plu, certes, mais ne m'a pas autant emballé que je l'imaginais. Alors oui son style fulgurant fait encore totalement mouche, car évoquer la guerre de 14 en 110 pages en disant presque tout, faut le faire. Mais après son génial cycle biographique, ses trois derniers romans, et alors qu'il se renouvelle - ici il fait la biographie d'un événement en quelque sorte - il n'y a pas eu pour moi la révélation. C'est tonique, génialement écrit, mais je me suis trop habitué. Pas bon pour moi, ça.




Ils ne sont pour rien dans mes larmes part d'une excellente idée (qui me ferait limite blêmir de jalousie si j'écrivais), demander à des gens le film qui a changé leur vie. Olivia Rosenthal se charge de la rédaction, et c'est là que le bât blesse: honnêtement, c'est écrit à la truelle, et ça appauvrit l'idée. C'est parfois touchant, parfois génial (la fin sur les parapluies de Cherbourg), mais souvent c'est trop peu écrit pour être à la hauteur du sujet.





La passion est mon premier roman irakien (ya un début à tout, c'est la semaine !), écrit par une femme, Alia Mamdouh,  et comme le dit la très jolie préface d'Hélène Cixous, aux antipodes de ce qu'on imaginerait bêtement: tout sauf un roman banal voire pleurnichard). Ultra stylisé, ultra construit, alternant des lettres puis des passages en stream of consciousness, c'est un roman hiéroglyphe, une histoire de passion aussi touffue et étrange que du Marguerite Duras, car s'il y a le schéma mari qui épouse une seconde femme, il n'y a là nul regard social ou religieux, mais bel et bien des regards de chair et de coeur. Le roman peut se lire comme un poème en prose sur les amours ravageurs et rageurs entre des êtres absolus. C'est hors-norme, débordant, opaque et libre, bigre, un roman sur l'amour comme ça, je l'ai pas vu venir.

Un roman ultra-original encore, autour du cinéma, Zéroville de Steve Erickson,  construit en courts paragraphes numérotés puis repartant vers zéro, raconte (enfin, plus ou moins) l'arrivée dans le monde du cinéma d'un candide pas naïf (je sais pas comment dire) affublé d'un tatouage de Montgomery Clift et Liz Taylor. Hors de tout réalisme, il rencontrera des allumés complets du milieu du cinéma, et passera l'essentiel du livre à disserter sur le cinéma et/ou la vie...constamment surprenant voire jouissif, multipliant les allusions délirantes et pourtant brillantes à l'histoire du cinéma, ce roman est une pure surprise tonique, absolument emballante. Je me suis régalé tout en n'étant jamais sur du sérieux de l'auteur, mais alors ça pétille, ça a un goût unique, même si la boisson reste difficilement identifiable !

On finit le coeur serré (ya des thèmes en ce moment qui m'amènent très vite aux larmes, les enfants qui grandissent c'est au centre) avec François Maspero et Des saisons au bord de la mer. Récit d'enfance, puis récit de l'enfance de sa fille, c'est doux et triste comme les regards sur les passés perdus. Poétique, humain, historique, nostalgique et pourtant jamais défaitiste, c'est une très belle évocation, parfaite en automne. Délicieuses évocations des joies temporaires de côtoyer une autre enfance, après la sienne. Et après ? Euh..."on rêve d'avant" ??




Et un peu de douceur pour finir, très bel album du très jeune Halls...



mercredi 14 novembre 2012

"J'ai couché ensemble avec personne !"

Aaaaahhhh...les soirées très arrosées dans les bars avec mon Seb, on peut pas dire que ça nous fait avancer dans nos objectifs, mais assurément parfois on y a le sens de la formule...c'est déjà ça ! Sinon en prime le retour de Dacha, le passage des toulousains amateurs de gâteaux arabes, vivement qu'on soit voisins, la semaine délicieuse avec ptit gars (vive Laku Laku !, vive les ruelles montpelliéraines et notre guide !),  dans la nouvelle Zuccoville, la rencontre déterminante et déjà inoubliable tant pour les rires que pour les émotions, avec le roi autoproclamé des losers (en plus il lit pas ha ha ha !), sieur Boris avec qui j'écumerais bien les bars  chaque semaine si on pouvait, un concert de Farewell poetry dans un canapé aux côtés des miss Morgane et Roxane (que ça a un peu endormi, ah ces jeunettes !), donc ce fut bien. Ben, et maintenant ?

Pas beaucoup de temps pour écrire aujourd'hui alors juste quelques livres alors que j'en ai plein à chroniquer...on finira plus tard.



La Corée cinématographique est comme morte après quelques années de bombes inoubliables ? La Corée des BD est un peu en stand-by, sauf du coté de quelques filles géniales ? Eh bien place au roman coréen, avec le déjà évoqué rapidement Kim Young-Ha qui signe avec L'empire des lumières un roman absolument génial, diablement prenant et vraiment puissant. En fait, tout s'y déroule en un seul jour, et même heure par heure: une journée commence dans une famille apparemment sans histoire de l'actuelle Séoul. On suit alternativement la fille de 14 ans, la mère, le père. Mais ce jour-là, tout va basculer pour le père, qui se révèle être un espion nord-coréen implanté depuis si longtemps dans le pays qu'il y a visiblement été oublié, jusque-là...Dès lors, cette journée se révèle être un catalyseur de destins, et un révélateur historique et identitaire. Ce ne sont pas seulement des vies qui vont se jouer-là, mais aussi l'Histoire de deux pays qui avant n'en faisaient qu'un seul. 
Pfiou, thriller psychologique ? Roman d'espionnage ? Tragédie ? Tout y passe, et si tout se lit très aisément, l'ampleur de ce qui se construit peu à peu donne le vertige: on frémit, on s'interroge, on s'inquiète, parfois même on sourit, et jusqu'à la dernière page, la tension est plus que palpable. Un vrai roman total, passionnant de bout en bout.



Boston Teran, deuxième. Après le trèèèèès noir Satan dans le désert, voici le trèèèèès noir Trois femmes, terrifiant roman -noir-thriller-portrait-récit d'une époque, des années 50 à 70, à travers l'histoire de trois femmes, une mère, sa fille sourde, et une amie rencontrée par hasard, face aux hommes, à la violence, à la stupidité, aux dangers. Il faut avoir le coeur au moins aussi bien accroché que le leur, car ici peu d'espoir, certes la vaillance règne, mais pour aboutir parfois à une "défaite" involontaire terrifiante. plongée dans le monde du deal, la misère du Bronx, les éclairs lumineux de l'amour et de l'art grâce à la photographie, bréviaire d'entraide et de lutte, ce roman glace et réconforte, et à nouveau se lit d'une traite. Je ne sais toujours pas qui est ce Boston Teran, mais son univers est vraiment marquant.


On finit sur un genre que je ne lis jamais, le journal intime, celui de l'écrivain disons marseillais René Frégni, qui avec La fiancée des corbeaux m'a ébloui par sa poésie simple, son observation des gens et des lieux, sa mélancolie douce-amère, et son amour pour les petits riens qui se révèlent de grand quelque chose. C'est étrange et doux de suivre ainsi des bribes de vie de quelqu'un, qui voit s'éloigner quelques parcelles de son passé, celles d'un père dont les filles ont grandi, celles d'un homme dont les amours sont au loin (ou tout proches), celles d'un villageois qui voit partir ses voisins très âgés. Un an dans une vie, mais des traces partout dans le coeur. Très belle oeuvre, apparemment il a publié d'autres journaux, je vais aller chercher tout ça au plus vite. Parfait pour l'hiver.
 
Pour finir un morceau qui s'avère une jolie surprise: hier j'ai reçu un mail m'annonçant que j'ai gagné une place pour le concert de Dillon. Ah bon ? Aucun souvenir d'avoir joué, j'ignore totalement qui est cette Dillon, mais c'est pas grave: j'y serai !





jeudi 1 novembre 2012

"...like antennas to heaven"




Pour moi qui ai vu des centaines de concerts, mais rarement pour la musique, et qui pensais que Godpseed you black emperor! ferait partie des groupes que je ne verrai jamais, ce fut un grand soir !
Il y a trois jours, je montrais à Seb les disques du label Constellation, toute une petite collection achetée il y a bien longtemps, mais reconnaissable entre mille avec ses pochettes en cartons légers, ses graphismes atypiques, ses titres hallucinants. C'était un autre temps, déjà loin, celui d'avant internet, où une certaine idée de l'indépendance avait encore lieu, parfois. Aucune nostalgie, oh là non, juste un regard vers des démarches plus trop possibles aujourd'hui, celles un peu secrètes.
Et puis Godpseed you black emperor! c'est, chez moi, une exception dans les probables deux ou trois mille disques que j'ai: le seul acheté parce qu'un jour, entrant dans la FNAC (du temps où ils vendaient vraiment des disques, c'était donc il y a treize ans, je ne peux plus y mettre les pieds aujourd'hui) pour fouiner j'entends une musique incroyable qui passe, je demande ce que c'est, et aussitôt j'achète. C'était leur incroyable deuxième (double) album, Levez vos skinny fists like antennas to heaven. Quatre morceaux de vingt minutes chacun, qui portait le post-rock que je découvrais vaguement au plus loin. Depuis, j'ai récupéré tous les disques de post-rock que j'ai vu passer: aucun n'atteint leurs excès. Le seul qui s'en rapproche, par la radicalité mais sans l'épopée folle, reste l'unique album (je crois) des excellents australiens This is your captain speaking.
Suivra leur dernier album. Puis le groupe s'arrête, multipliant les projets parallèles que je suis assez souvent, et poursuivant l'aventure pourtant fort improbable sur le papier de leur label Constellation.
Et puis il y a un mois, stupeur: après dix ans de silence, le groupe sort un album !! Ouh là, moi les reformations, ça me désole et me laisse de marbre, elles se multiplient ces dernières années et je les fuis. Mais là immédiatement je prends le disque, sceptique, que va-t-il rester de ce temps là, dix ans en musique c'est mille ans en émotions et changements. Bilan: deux morceaux telluriques de vingt minutes qui renvoient tous les groupes de post-rock à la cour de récréation, Mogwaï en tête. Godspeed reste godspeed: ailleurs, inexorablement. Pas de comparaisons possibles: un ailleurs, et rien n'est possible entre.
Alors quand ils font deux dates en France et que la deuxième est ici à Bordeaux, je n'hésite pas, et zou c'est parti pour voir ce que c'est un concert de Godspeed.



Bilan: ben je crois que j'avais jamais vu ça. Non pas qu'ils inventent tout, j'imagine que plein de groupes dont j'ignore l'existence ont fait ou font ça: mais c'est leur radicalisme absolu dans chaque détail qui me fascine, et me rassure: oui, l'indépendance, qui occupe ma vie de spectateur à temps plein depuis vingt ans, existe encore, et a du sens.
Ainsi, ils arrivent un après l'autre, pas du tout en effet de attention voilà le groupe un par un: non, ils passent sur scène sans qu'on sache si c'est eux ou des roadies, installant leur instrument, repartant, très nonchalamment: ils (se) préparent. Habillés comme tout un chacun, ouf pas de tenue de scène, des jeans et des t-shirt passe partout. D'ailleurs, je réalise là que je n'ai jamais vu leur tête, mis à part Efrim déjà vu en concert avec A silver mount Zion. Je crois me souvenir qu'avant ils refusaient toute photo, et effectivement pour un groupe idolatré, je ne connais aucune tête, et ils sont huit.
Ensuite, la moitié du groupe est sur de simples chaises, un des deux batteurs est derrière caché par les amplis, et summum de ma joie: un des guitaristes s'asseoit dos au public. Là encore nulle provoc, nulle ostentation: ils forment comme un cercle, mais surtout, et c'est ça qui me plaît, ils sont tournés uniquement vers leur musique, ou plutôt vers la musique. Aucun bonjour, de toute façon il n'y a pas de micro, aucun signe de la main, ils viennent petit à petit, et s'accrochent à leurs instruments. Et encore un détail qui me ravit: la scène n'est presque pas éclairée, et ne le sera jamais, donc on distingue à peine leur visage. Bien sur le groupe est là, mais il y a bien plus important: la musique. C'est austère, voire strict: moi je vois ça comme une pure offrande: nul besoin de parler, de dire trois conneries applaudies bêtement: on s'installe, et on va jouer de la musique. 
Dix premières minutes forcément rudes, des sons qui se marient plus ou moins, et c'est parti ensuite: l'épopée, terme tellement galvaudé pour eux, peut commencer: des morceaux énormes, concentrés d'explosions, une vingtaine de minutes à chaque fois, des chevauchées fantastiques comme j'en avais jamais entendu. Qui laissent tout le monde dans un silence total. Les gens applaudissent mais à aucun moment le groupe ne montrera qu'il réalise qu'il joue devant des gens. pas de pause, juuste des baisses d'amplification. Et à chaque fois ça repart, dans un calme presque terrifiant, assis, debout mais sans quasiment bouger, ces sept hommes et cette femme remuent la terre, balancent des magmas, reviennent aux arcanes de la musique, et nous on est là, en face.
Et c'est au bout d'un moment que j'ai commencé à entrevoir une lueur, faible, de compréhension. En fait, personne dans le public ne savait trop comment réagir: certains agitaient la tête en suivant la batterie, certes, mais ils étaient minoritaires, très, et la salle était comble. Les gens observaient, écoutaient, mais il faut bien faire le constat suivant: cette musique est autre, échappe à nos habitudes de spectateur, et du coup devient une expérience presque terrifiante. On ne sait pas ce qu'il faut faire pendant qu'on écoute cette musique là. Parfois, quand soudain ils emballaient à nouveau l'apocalypse alors que je pensais qu'on était déjà allés au bout, je souriais, mais c'était pas du plaisir: juste de la sidération, juste un doute : il se passe quoi, là ? 
Ca a duré deux heures, totales, bien trop uniques pour savoir ensuite si c'était bien ou pas. La question paraît même hors-sujet complet. Aucun rappel évidemment (ç'aurait été indécent). A peine dehors, je vois que certains du groupe sont déjà là aussi, évidemment ils vont pas se cacher dans les loges, eux. Je les revois partant peu à peu de la scène, ils ont tous fait, je crois, un micro geste vers le public, un quart de seconde, une main vaguement levée, comme pour dire eh bien voilà, c'était de la musique qui est passée par nous, vers vous, mais vous et nous étions secondaires: c'était les explosions, partout, qui sont passées de là-bas à ici qui resteront. J'en avais le souffle coupé.
Je crois que je passe une grande partie de ma vie à aller voir des concerts pour attraper, enfin, un jour, l'impalpable qui traverse l'air quand des notes partent de la scène pour se diriger vers les corps et cerveaux des spectateurs, et plus encore des spectatrices qui sont ce qu'il y a de plus beau dans la pénombre d'une salle de concert. Là, avec Godspeed you black emperor!, c'était facile de palper cet immatériel, tant leur son est puissant. mais ils étaient comme effacés de la scène, et le public était dissous. Ne sera restée que leur musique, leur radicalité. J'aurais pas été là pour tout comprendre, une fois de plus.

Je vais évidemment pas mettre un "clip" d'eux, là aussi ce serait indécent. On va reposer les oreilles et l'âme avec un morceau du très doux et très beau nouvel album de Geg Haines...

 
 

La fille de l'ascenseur (et celle de l'internat de l'hôpital)

Avec mon ptit gars, maintenant qu'on lit ensemble les décidément (plus encore quelques années après leur découverte hallucinée) incroyables BD du maître coréen Kang Full (je crois que partager le moindre truc avec mon bonhomme suffira à justifier la vie), eh bien chaque fois qu'on va prendre l'ascenseur du parking, on s'attend à se retrouver avec la même fille à la même heure, comme dans Chassés-croisés, mais ça marche pas. Ca nous rappelle Zucco (gentiment invité sur ce blog s'il veut écrire sur Dire son nom ah ah ah !!)  qui voulait voir sa voisine en maillot de bain selon une vendeuse de BD fort perspicace. Ca par contre, on y a eu droit: nos ptites voisines d'en face ont repeint leurs tours de fenêtres en maillot de bain (vivent les taches potentielles !) et c'était très bien. Mon ptit gars a adoré, moi aussi ! Vivement la semaine prochaine qu'on aille voir les nouvelles voisines du Zucco à Montpellier !



Alors attention, livre étonnant ! Même Arthur voyant la couverture a retourné pour voir le résumé, et s'est esclaffé: "C'est l'histoire d'une homme qui cherche une vache ??!!". Ben oui, mais pas seulement. Loin de là. L'auteur gallois, Cynan Jones, est apparemment exploitant agricole, c'est son premier roman, et c'est mon coup de foudre du jeudi et ça s'appelle Longue sécheresse ! Car effectivement, une vache, sur le point de mettre bas, part d'une ferme, et l'homme doit aller la chercher. Certes. Mais ce court roman devient vite aussi choral, pas à la manière traditionnelle de tant d'oeuvres d'aujourd'hui, mais par touches impressionnistes discrètes, amenant de délicates mosaïques à la trame: on se retrouve donc essentiellement avec cet homme, mais parfois soudain auprès de sa femme, son fils, et bien sur, oui oui, parfois la vache ! Et tenez-vous bien: ce livre est à la fois diablement romanesque, car par effleurements impressionnistes c'est des pans entiers du passé qui vont surgir, joies, drames, sans qu'il soit besoin de développer: alors ce petit livre devient une odyssée du couple, de la filiation, du travail agricole au XXème siècle, de la paternité, des failles de nos vies, bref comme une encyclopédie miniature de l'existence, mais avec en prime une langue poétique magnifique, qui emporte cette "simple" histoire au niveau de l'existentiel. Vous l'aurez compris j'espère, à partir d'un canevas mince, Cynan Jones a conçu une oeuvre exceptionnelle, complètement à part. Ca tombe très bien: c'est souvent par là qu'on découvre les plus tendres douceurs.




Jérôme Ferrari, déjà deuxième. Dites donc, il est très bon lui ! Dans Où j'ai laissé mon âme, il redéploie sa narration particulière, une longue lettre entrecoupée de scènes du passé, autour d'un thème assez proche du livre chroniqué récemment: la rédemption, l'horreur dans la guerre avec ici comme toile de fond les guerres coloniales, la torture, la vie d'avant qui de toute façon n'a plus d'après, et au-delà de tout ça, l'existentiel encore (il est prof de philo msieur Ferrari) mais accessible à nous, l'âme, la complexité de l'acceptation de ce qu'on fait. Le texte est à nouveau superbement écrit, de longues phrases étourdissantes dans les lettres, des passages plus secs dans la narration, et c'est au final un texte véritablement impressionnant, dense, tortueux, riche et profond. Auteur à suivre de très très près.

Retour aux ascenseurs coréens avec un fort divertissant et agréable recueil de nouvelles de Kim Young-Ha, Qu'est devenu l'homme coincé dans l'ascenseur ? Quatre récits passant d'une journée où tout, mais absolument tout, rate (ça arrive, Pascal avant-hier a fermé sa porte en laissant ses clés à l'intérieur, il a passé tout l'aprem dehors en T-shirt, il faisait 8 degrés ah ah ah ) à la lettre d'une femme qui vit avec un vampire (probablement), ou encore à des prédictions amoureuses à prendre avec des pincettes. Humour pince sans-rire, thèmes plus sérieux parfois, ça se lit tout seul, et aujourd'hui que le cinéma coréen est malheureusement en panne sèche, autant se tourner vers leur littérature, pour voir. J'en ai d'autres dans le colimateur, déjà !




Deux BD pour finir (car, oui c'est horrible, le rayon BD de la bibli dans lequel je passais une partie de mes semaines est fermée depuis juillet, et jusqu'en mars prochain, mon dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ??!), deux biographies de femmes exceptionnelles. 
Avec Olympe de Gouges de Catel & Boquet, on est dans un récit classique (quoique roi des ellipses !)  avec des dessins enlevés et joyeux, donc l'intérêt premier c'est l'époque, ce bouillonnement révolutionnaire bien rendu - avec humour - et surtout bien sur ce personnage de proto-féministe, génialement fille des Lumières, qui arrive à placer les hommes et la société devant leur contradiction première: l'inégalité sexuelle. Ca se lit avec aisance, c'est futé, piquant, ça ne révolutionne rien, mais ça ouvre plein de perspectives.



On finira avec une biographie d'une toute autre ampleur: Tina Modotti, d'Angel de la Calle,  dont j'ignorais absolument l'existence, est une photographe communiste du début du siècle, et alors là attention, quelle femme, oh là là waow !!! Déjà allez jeter un oeil sur des photos d'elle sur le net (mettez des matelas autour de la chaise en cas d'évanouissement direct), ensuite jetez-vous sur cette BD passionnante, qui alterne entre les recherches contemporaines de l'auteur, son amitié fort amusante avec Paco Ignacio Taibo II qui est dans la BD (il ronfle très fort !), et la reconstitution de cette femme libre, exceptionnellement talentueuse et intelligente, qui finira par mettre sa vie au service du communisme. C'est peu dire que le genre biographique dans la BD contemporaine a été plus qu'exploité, mais là, clairement, que ce soit pour son personnage, ses dessins et sa construction, cette BD absolument géniale se hisse sans problème sur le podium imaginaire du genre.

Comme aujourd'hui il pleut, il faut un peu de douceur musicale, alors on y va pour ce morceau de How to dress well. Au passage, non, surtout, il est dédié à la demoiselle de tout là-haut (qui passe ses vacances dans un hôpital, non mais quelle idée !) qui m'écrit si gentiment des SMS pendant que j'écris ceci...Clin d'oeil, souvenirs...merci donc, et révérence...