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vendredi 3 mai 2013

Le très grandmaster




On commencera par LA phrase du séjour à Montpellier, honneur au grand Zucco qui dans une soirée qui m'a rendu heureux a sorti cette vérité première: "Mais enfin Boris, on envoie pas une lettre d'adieu à quelqu'un qu'on connaît pas !!"
Sinon, tout avait commencé par un train à 5h40 du matin, mais surtout un appel de **** (chut c'est secret) à 5h20 (une première pour moi) m'annonçant "Bon ben jsuis à la gare, je crois qu'on prend le même train !!". Alors là, un voyage comme ça, j'ignorais que c'était possible, et même rester coincés deux heures en gare d'Agen ne fut rien d'autre qu'un prolongement de ce moment hors de toutes normes...Salutations plus que distinguées, avec coeur serré mais aussi vibrant...
Après, j'ai découvert que l'amitié est pour l'indien des Inno (pas encore des plaines !) une notion très particulière: on me promet un Montpellier et des Montpelliéraines déchaînées, et c'est ville morte le jour de l'arrivée ! On me laisse agoniser en pleine nuit sur un trottoir, et pour toute aide on me jette les clés de l'appart dessus, rentre tout seul démerde-toi, moi je mange au resto de bobos !! Et pour finir, à Sauramps, on néglige de me préciser que cette dame ETAIT spotless mind, et par cette négligence on m'empêche de plonger dans la vraie vie. On n'oubliera pas non plus les supermarchés (j'y ai jamais autant été en si peu de temps) où un simple coup de téléphone devient prétexte à fantasmes hors-sujets, le supermarché du shit du Zucco, et bien sur la rupture de stock tellement symbolique des bricks en passant par les plages sans sirènes, et pleines de digues ...Honnêtement, je vois plus l'amitié pareille et j'ai pas dit le mieux (ou le pire ?). Déjà, j'avais jamais rencontré quelqu'un qui, alors qu'on est assis à la même table, m'envoie un mail à mes deux adresses. Et enfin, c'est quand même scandaleux de choisir comme seul véritable ami, comme frère d'âme je dirai, alors que je suis là, un mec qui confond amour romanesque et piscine à gazon synthétique...Regrimpe sur tes poneys, l'indien, je pars devant entourés d'amazones...!!




Par contre, clairement, le rayon chefs-d'oeuvre de cinéma n'était pas en rupture de stock, et la première déflagration nous vient d'un de mes maîtres, que dis-je, un de mes fidèles constructeurs de vraie vie depuis désormais vingt ans, Wong Kar-Waï qui avec The grandmaster a frappé le premier coup des séismes cinéma de 2013 pour moi (il était temps). Pas du tout film sur le Kung-Fu comme on l'annonce, mais bien somme (fresque selon certains ha ha ha !) de toute une vie, ou de toute vie, et surtout de toute une oeuvre. Si 2046 reste à mon sens le film le plus parfait réalisé sur les sentiments, ici ce double inversé, cette autre face de la même pièce, complète le tableau (et le mot, par la beauté constante de chaque image, remet à leur place tous les pseudos esthètes riches ou manieurs de gadgets dits technologiques stupidement provoc de ces dernières années, faiseurs de "belles" images et surtout infaiseurs de moindre pensée - ne jamais oublier le mot de Jean Douchet, "plus la technique est facile, plus l'art est difficile") par le biais des corps du Kung-Fu: coeur, âme et corps: oui, c'est clair, Wong kar-Waï n'aura jamais su filmer que l'humain, en le rendant beau comme aucun cinéaste à ma connaissance. Mais ces humains là, pour n'en pas faire des pantins de cinéma (des acteurs qui viennent se montrer), il en fait des personnages ancrés dans une époque, plusieurs mêmes, dans des questions sociales, politiques, et bien sûr relationnelles: enfants, parents, amis, ennemis, collègues, et amoureux. Wong Kar-Waï, avec son regard aimanté par la recherche de toutes les beautés, pas simplement plastiques donc creuses, mais multidimensionnelles donc humaines, donne ici un opéra fabuleux, une geste qu'il faut aller revoir, et j'irai, tant elle demande et donne matières à penser comment vivre, et revivre. C'est comme filmer la beauté profonde de l'existence. C'est donc essentiel. On est donc sortis de la salle suffoqués: tant d'oxygène mental, ça achève avant d'élever. Génuflexions.



Et on remet ça deux jours après, avec le très très impressionnant Mud de Jeff Nichols. Le monsieur là, je l'avais découvert avec Take Shelter, un film exploit qui ne m'avait pas totalement convaincu mais m'avait bien scotché, filmant sans fin les méandres d'un cerveau. Truffaut le préconisait, que le film suivant soit aux inverses du précédent (tant de pseudo cinéastes feraient si bien d'y réfléchir, le calque, c'est chiant), Mud part tout ailleurs. Pourtant, c'est la même Amérique des bas-fonds sociaux, l'Arkansas paumé de chez paumés. Mais fini le seul cerveau: on le confronte au monde (même en modèle réduit: trois baraques, un bled, une île, et voilà le monde) et on observe les étincelles provenant de leur rencontre. Et quitte à se lancer là-dedans, on y lance deux pré-ados, dans une atmosphère qui m'a fait penser à la fois à Stand by me (avec une dimension plus existentielle) et au fabuleux Les géants de Bouli Lanners (pour la recréation impeccable des âmes de la pré-adolescence - on est dans la vraie vie ici, pas dans la niaiserie de cet imbécile de Spielberg qui va massacrer le prochain palmarès de Cannes avec son ignorance du cinéma tel qu'il existe, ou la naïveté lourdaude de Moonrise Kingdom qui ne sait pas ce qu'est un adulte). Mais ces "références" sûrement absentes ne peuvent suffire: le film, par sa réalisation infusée d'intelligence, refuse toute facilité: aucun effet de manche au spectateur, aucune concession, aucune putasserie: à nous de nous empêtrer puis dépêtrer dans la  pâte. Et si le Wong Kar-Waï est très vite apparu comme un film-reflet de nos vies, un immédiat miroir, ici au contraire on part aux antipodes (âges, situations, lieux) pour finalement mieux revenir vers toute existence: film-boomerang. Et donc, quels que soient les âges du film, tout sera brassé, toutes les questions que l'on rencontre, dont l'on se rend compte, filiation, élans, amours, étrangeté des amours, filles, garçons, amitié, décodage des signes, pertes, retrouvailles, découvertes, incompréhensions et donc découvertes toujours. Le film est un gouffre, qui se nomme remises en questions, et nous emporte tellement loin, au coeur même de nos expériences, qu'on en est à nouveau ressortis tout chancelants, en se demandant comment cela avait pu être possible. La terre n'a pas tremblé: nos vies, si.



Avant ça, on avait déjà tutoyé les sommets avec Le temps de l'aventure de Jérome Bonnell, réalisateur dont le parcours ne m'a jamais passionné, toujours trop peu romanesque pour me toucher, mais ici, ça marche ! Et Emmanuelle Devos la condamnée au magnifique, surtout, elle marche, mais sur plusieurs chemins: loin de sa vie qu'elle contient de moins en moins, juste pour un jour. Près de cet inconnu, parce qu'il faut parfois savoir en passer par là pour trouver ce qu'on ignorait même chercher. Et donc ensuite vers un ailleurs qui n'aura rien à voir, ni à dire, avec l'avant. Car c'est bien un film resserré sur quelques heures où tout change, et c'est ce glissement subtil et tellement impensable que le film explore magnifiquement. Sujet connu, traitement élégant, frontal, et si entraînant. La première réplique, géniale (j'étais tombé amoureux en quelques secondes), "mais enfin je peux pas me lever à 6h50, j'ai rien d'humain à cette heure là" est donc un trompe-l'oeil: elle aura tant d'humain, ce lendemain à 6h50, elle n'aura sûrement pas "trompé", par contre elle n'aura clairement plus le même oeil, sur elle, sur lui et lui, sur eux, sur tant. Pas qu'un trompe-l'oeil donc: un regard qui apprend à avoir un peu mieux raison, pas sur la vie, ça on s'en fout, mais sur soi.



Un documentaire classique dans sa forme pour finir, Free Angela de Shola Lynch, mais tellement touchant et étonnant par la personnalité fémininement et politiquement hors du commun de la dame, qu'il en est essentiel. Découvrir la vraie vie par la fiction, c'est déjà énorme, mais par la réalité c'est pas mal aussi. Donc voir la dame aujourd'hui réfléchir, au sens absolu du terme, sur son passé et surtout son chemin, c'est avoir la bouche bée, non, le cerveau bée, pendant l'intégralité du film. Génuflexions encore, pas devant l'objet documentaire, mais devant cette Dame. Dame !

Allez, une dédicace au grandmaster indien Boris, le grand manitou des conditionnels, après tout, ç'aurait été probablement grâce à cette chanson qu'il aurait  fini couvert par de l'or...




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