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samedi 18 mai 2013

J'ai lu quelques BD: Très gros coups de coeur

On va faire en deux parties, en cette période de chapeaux de roue bien agréable...




Un Auteur d'abord, donc des hauteurs rares: et on se dit qu'il y a assez longtemps qu'une telle inventivité en BD n'avait pas effleuré mes yeux encore tout émus. Nate Powell donc, avec deux BD en prime, Swallow me whole et Any Empire. Deux BD centrées sur l'enfance, l'adolescence et la famille, donc le terreau le plus banal qui soit en BD contemporaine, mais qui dynamite ce matériau par un traitement graphique éblouissant. Ellipses à gogo, pas de trame centrale mais comme une mosaïque à reconstruire, alternance de passages muets souvent bouleversants et de passages dialogués, jeux sur les noirs et blancs, et surtout BD narrative certes mais centrée sur la psyché: donc des auscultations des cerveaux sans plonger dans la simple psychologie, mais des détours dans les fantasmes et les rêves, une démarche d'exploration psychanalytique et analytique proches d'une recherche des chaos. Alors certes ça rigole peu, mais comme exploration graphique des gouffres, j'avais rarement lu ça. En prime, ces deux livres, qui n'ont rien en commun, sont comme les deux faces d'une même thématique: une fille et son frère dans le premier, un garçon et sa soeur dans le second.  Nate Powell dans la cour des immenses.


Changement radical de direction avec une série éditée chez Shampooing, autant dire tout ce que je ne veux pas lire en BD: des pseudos auteurs bloggers qui confondent dessiner et faire de la BD, qui confondent des gens me lisent car je suis sur internet et je mérite ce succès par la qualité de mon travail. Et puis là, contrairement à la plupart des titres de la collection, excellente pioche, celle de L'ostie d'chat, de Zviane et Iris, une série autour de jeunes québécois, on va dire entre 25 et 30 ans: et pour une fois, quelque chose qui se veut comique est drôle, pétillant, parfois désopilant, parfois aussi grâce à des flashbacks, une certaine profondeur apparaît, et donc on suit les difficultés amoureuses et relationnelles de ce groupe, avec en bonus la langue québécoise délicieuse, et l'ensemble s'avère être ce que d'habitude je fuis avec plein sourire: une distraction, mais pas tout à fait gratuite. Utile de dire que j'attends impatiemment un tome 4 !


 
Un maître du manga désormais, l'auteur du premier livre que mon ptit gars a lu tout seul (j'en pleure encore d'émotion), le très grand Shigeru Mizuki, qui a à nouveau scotché le père et le fils avec 3, rue des mystères. De courtes histoires fantastiques, un genre assez peu représenté en BD (pas l'horreur, pas le gore, non non le pur fantastique) et ici diablement traité. Des histoires qui mettent mal à l'aise, d'autres plus délirantes (on a repéré les mêmes avec mon ptit gars), des mondes des morts, des esprits, donc une variété folle qui fait qu'on s'est englouti les deux tomes en un clin d'oeil, et comme toujours les personnages au physique unique de Mizuki. Continuer à partager ces auteurs avec mon bonhomme, ça doit s'appeler bonheur à plus l'infini...


Encore un virage avec Le bus, de Paul Kirchner, auteur dont j'avais adoré les strips sur mon ancien blog. Ici, ce sont à nouveau des strip avec un seul thème: un bus. Et ce moyen de transport va être décliné dans tous les délires poétiques, visuels et humains de l'auteur: on navigue donc entre Sempé, le surréalisme, Kafka, mais dans un bonheur constant: En fait, à chaque fois, on cherche l'astuce qui soudain surgit, et à chaque fois c'est pétillant d'invention. Une lecture aussi drôle qu'angoissante, car ces situations sont toujours sur une corde raide. Cadeau idéal.



Retour au Japon avec enfin la lecture du second tome du magistral Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi. Où il poursuit inlassablement sa quête folle: raconter dans tous les détails sa vie d'auteur de manga et d'inventeur d'un genre, le gekiga, qui révolutionna la vision de la BD. Mais ce n'est pas tant cela la folie du projet, c'est son extrême méticulosité: la BD est une nouvelle fois énorme, et détaille absolument tous les aspects concrets, quotidiens, d'une vie d'auteur de manga: la question du papier, le financement, les interminables projets avortés, les infinies discussions scénaristiques...tout ce qu'on ne voit presque jamais d'un art est là: sa dimension extrêmement concrète. Et cette idée rare me bouleverse toujours, que le plus intellectuel soit avant tout absolument concret et donc accessible. On voyait ça chez Truffaut dans La nuit américaine, ou chez Desplechin (qui présente son Jimmy P. aujourd'hui à Cannes, j'en pleure d'émotion là aussi, 23 ans de ma vie continuent à construire des sens) avec Esther Khan. Eh bien Tatsumi l'a fait aussi, ici. Amour amour.




On finira avec Little Saïgon, mémoires de viet-kieu, de Clément Baloup ou une autre plongée, après le très fort documentaire Cong-Binh, dans le Vietnam, mais ici à travers sa diaspora. En deux tomes, l'auteur part à la rencontre d'exilés, des hommes dans le premier tome qui est court mais dense, recueil de quatre témoignages aussi terrifiants (la vie là-bas pendant les guerres, les dangers, les fuites) que porteurs d'espoir (ces exils ont réussi, mais pas sans traces). Puis même technique dans le tome 2, beaucoup plus développé et centré sur quelques femmes en Amérique: du coup, un autre point de vue, mais les mêmes angoisses, terreurs et espoirs. Des vies cahotées par l'histoire mais desquelles ressort toujours une immense identité personnelle. Fort.


Moi en ce moment je passe beaucoup de mes journées avec les bordelais d'Odezenne, et ça me plaît trop ! Et je sais grâce à qui je les ai découvert ! 

 

 

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