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jeudi 5 décembre 2013

Au revoir / Adieu, Toi

Quand les nuits tombent tôt, l'heure est venue de replonger dans les polars, alors la collection Sonatine est de retour !



J'avais découvert Zoran Drvenkar avec le très bon Sorry parce qu'il est allemand, il avait été embarqué dans mon séjour professionnel de l'an dernier, et bien m'en avait pris, je me réfugiais le plus souvent dans la chambre sous prétexte d'être fatigué, ne me restait qu'à lire...Je tombe par hasard sur Toi, alors on essaie...
On découvre assez vite l'astuce littéraire du livre, chaque chapitre change de personnage, mais s'adresse à lui ou elle sous la forme du tutoiement, c'est finalement assez amusant et assez prenant. On découvre donc, et dans mes souvenirs Sorry l'était aussi, une construction très savante et très calculée: traduction: on suit des personnages sans trop bien comprendre ce qui les lie, ou les liera, mais peu à peu ça se dévoile. On ajoute quelques retours en arrière parfois, et on y est pour les bases de l'intrigue: cinq ados de seize ans, ultra-copines, très sexe et drogue, à Berlin, l'une d'elle rencontre un mec plus âgé qui flashe sur elle (elle a les cheveux rouges). En parallèle, un baron de la drogue, machine humaine enfin inhumaine, intouchable. En parallèle, avant (?), un serial killer occasionnel mais qui ne fait pas dans la dentelle. Bon alors il reste à lier tout ce disparate, ça se fera progressivement sur les 300 premières pages environ. Qu'en dire alors ? Que, même si au début j'ai trouvé certains trucs légèrement excessifs (mais ça doit être une loi du genre je pense), c'est très prenant, et très intrigant. On voit qu'on est dans une mécanique, et waow elle fonctionne bien...Arrivent alors les 300 dernières pages, et on s'aperçoit qu'il reste quand même quelques zones d'ombre, dont la principale évidente, que je ne dévoilerai pas. Et on se dit qu'il a quand même de l'endurance, cet auteur, parce que les pièces du puzzle s'imbriquent sans cesse, et s'imbriquent vraiment bien.
Avec des moments d'une pure virtuosité (suspense, relance), éblouissants.
Et puis vient la page 420. Et là je crois que c'est la première fois en lisant un livre que je me suis exclamé Ah putain !! Et alors là le coeur a tapé très fort. Parce que là, à ce moment là du livre, je me suis vraiment dit qu'il était très très très fort, ce livre, cet auteur, et il reste 150 pages encore ! Un moment que j'oublierai certainement pas !
Et puis donc les 150 dernières pages, qu'on est obligé de lire d'une traite, on peut pas pas continuer non-stop, une course ou une marche voire un surplace vers la fin du puzzle, qui n'en finit plus de fasciner, parce que décidément oui pour un polar (car cela reste cela), cette mécanique sera jusqu'au bout diablement huilée, à frémir, tant de plaisir que de saisissement...
Et puis jusqu'au bout, parce que les dernières pages m'ont également scotché, et en avant: les dernières lignes sont vraiment très fortes...là, j'avoue, il aura su construire, tenir, et finir ce Zoran Drvenkar, en "beautés"...



...chose que je ne saurai faire, suis pas écrivain ! Je me suis aperçu par hasard que ce billet était le 101ème, et je me suis dit Oh déjà...pas sûr que ça me plaise...Alors je me laisse jusqu'à la fin de l'année pour voir, mais je crois bien qu'après 9 ans et trois blogs bien remplis finalement, cette forme d'écriture là (qui d'ailleurs n'est pas de l'écriture, soyons lucides, rédiger un blog n'est pas écrire) ne m'apporte plus grand chose, si tant est qu'elle m'ait jamais apporté quoi que ce soit, j'ai pas fait ça pour ça. Donc je pressens qu'il est temps que je mette fin - ce n'est pas la première fois, je ne sais si ce sera la dernière - à cette forme d'écriture-là, pour la remplacer par aucune autre bien sûr, je n'ai rien à écrire, mais juste par une autre façon d'exister au quotidien. Je me donne donc ce petit mois pour attendre et voir. C'est au passage l'occasion de souhaiter une bonne fin - et donc pas que d'année !
On terminera alors sur une exception (mais pas d'exceptionnel) pour moi. Je n'aime décidément rien préférer, donc je n'ai pas de chanteur, chanson, livre, auteur préféré, mais pourtant, et c'est un indifférent quasi-absolu à toute la musique des années 60 et 70 qui le dit, il y a cette chanson de Bob Dylan qui est l'une des rares choses dont je crois je ne me lasserai jamais (mais Dylan selon moi n'est pas un chanteur, c'est un artiste véritable). En prime, elle est ici dans un film, un "biopic" on appelle ça - une biographie filmée, un genre cinématographique que je jette à la poubelle sans distinction, sauf ce film I'm not there sur Dylan, de Todd Haynes, parce que là aussi c'est une pure oeuvre d'art, et cet extrait  (sur lequel ya une putain d'adresse twitter qui s'enlève en cliquant dessus, dégage twitter) que j'ai donc découvert en 2007 au cinéma, m'avait électrisé et ébloui pour la plus banale des raisons (et en plus Charlotte Gainsbourg m'indiffère): j'y avais vu deux secondes d'un truc que j'avais vécu avec une fille, et pas oublié. Bonus de l'âge: depuis se sont rajoutés deux autres souvenirs qui étaient sur pellicule mais que j'avais pas encore vécu, avec une autre fille...donc dans ce court extrait (et bien sur c'est pas la moto je n'aime pas plus les motos que les biopic ou Charlotte Gainsbourg !) il y a pour moi trois reflets de moments vécus avec deux filles, deux filles à qui j'aime toujours penser, qui en plus ont su garder encore une réelle jeunesse, mais faut être honnête: elles étaient vraiment avantagées au départ...sourires pas nostalgiques, jamais et toujours.



mardi 3 décembre 2013

J'ai lu quelques BD

Alors au menu des délires labyrinthiques, de l'enfance et de l'adolescence et de la politique.



La BD italienne n'en finit pas de me régaler, et quelle avalanche de bonheurs en tournant les pages de Le monsieur aux couleurs, de Roberto La Forgia, probablement le lecture BD la plus marquante de ce lot. Dans des dessins simplifiés (?) aux couleurs rares et doubles, orange/noir en gros, l'auteur recrée génialement une période souvent malmenée ou infantilisée (in)justement: l'enfance, ici représentée par trois copains, deux de dix ans, un de sept ans, avec parfois l'irruption de quelques filles, quelques parents, et un libraire BD qui donne son titre au livre. L'enfance se recrée ici grandiosement par le langage et les préoccupations, nul angélisme, des discussions sexuelles infinies d'un réalisme aussi génial que drôle (l'enfance, c'est pas titeuf ici, hallellujah !), des situations, tant dans les moments creux qu'importants, mis sur le même plan, traitées avec une délicatesse ne refusant aucun hurlement de rire ou gorge se serrant, bref une maestria tant dans les dialogues, la psychologie que la construction du récit (car on pense à une sorte de succession de scènes avant de voir une cohérence et un sens aussi calculé que terrible) qui font de cette BD une des plus fortes, drôles et belles (car ici cela ne s'oppose pas - certains passages sont vraiment bouleversants) que j'ai lues autour de l'enfance. Fabuleux.

Bien plus courte et sur un thème bien plus classique en BD contemporaine, l'adolescence, A strange day de Tatiana Gill et Damon Hurd s'avère une excellente surprise dans un domaine pourtant fort balisé. Le récit ici s'occupe d'une journée, même pas: le jour où sort un nouvel album des Cure (période pré-internet, où la sortie d'un disque avait encore une portée potentiellement magique), un fan sèche le lycée pour se planter devant le magasin avant l'ouverture...et y rencontre une fan...Matériau simple qui va pourtant donner lieu à une vraie et forte histoire, qui arrive en pourtant peu de pages à distiller une atmosphère particulière et assez unique. J'avoue, j'y croyais peu, j'avoue, je l'ai refermée tout troublé.



On continue avec Pages intérieures de Stéphane Courvoisier et Jacky Beneteaud, une BD assez courte mais assez marquante pour qui aime les histoires à la Borges, les rencontres amoureuses imprévues, la science-fiction de façade, et les bibliothèques...donc en gros, on est dans le futur (mais pendant un tiers de la BD on le sait pas !), dans une bibliothèque où un homme va rencontrer une femme...à partir de cette trame somme toute plutôt mince, le récit va s'engouffrer dans des recoins, des coïncidences troublantes, des phrases énigmatiques rédigées au début vont peu à peu prendre sens, des jeux temporels se faire jour, et on va se retrouver dans une belle histoire qui progresse et tourne en rond, qui rappelle que le temps c'est mystérieux parfois, et qui na va pas finir de ne pas finir...à la fois classique et très bien réinventée, voilà une lecture idéale de soirée d'hiver.

Maître absolu de la BD délirante, Marc-Antoine Mathieu a repoussé toutes les limites imaginées avec sa série de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, série que je n'ai jamais lue mais dont souvent on m'a parlé. C'est par erreur que j'ai pris le tome 5 (c'était pas marqué, ya "pas" de couverture !), Le décalage,  donc chaque tome est aussi indépendant, parce qu'il y avait un autocollant qui m'a bien fait rire: "page 40: anomalies normales" ! On commence donc en lisant la non-couverture qui est la page 7, et là c'est parti pour une folie aussi géniale que profonde, un jeu constant sur ce que peut être une histoire en BD, surtout quand comme ici il y a un petit problème, et puis ben oui à la page 40 les pages sont découpées et tout est disons "normal" et puis plus on va vers la fin plus on va de surprise en surprise (il a pensé à tout ce mec !), et on "finit" l'histoire sur la quatrième de non-couverture, et on sourit vraiment. Cette série, disons au moins ce tome, est vraiment le cadeau absolu pour tout amateur d'étrangeté ou de BD. Magistral !


On finit sur de la politique avec le Pierre Goldman, la vie d'un autre, une BD d'Emmanuel Moynot (un voisin de palier presque !) qui m'a laissé perplexe. Au lieu de reconstituer l'affaire et l'époque comme c'est assez traditionnel dans ce genre, Moynot s'attache presque exclusivement au mystère Pierre Goldman, le suivant imaginairement  (mais à travers son livre et des interviews contemporaines présentes tout au long de la BD) pour non pas éclaircir, mais exposer. On est donc plongé dans ce qui peut être vu comme la fin de mai 68 (en 1979, quand même !) à travers la fin d'une vie et d'un individu, et à travers lui le vecteur de nombreuses questions humaines et politiques. BD très troublante donc, parce que ce n'est pas rien que d'accepter de conserver des zones d'ombre autour d'un événement et d'un homme qui n'aura cessé d'en générer...

En hommage à ces années 60-70, la magie d'une chanson d'Anna Karina chez le magicien Godard...m'en lasserai jamais de celle-là...