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jeudi 30 mai 2013

Enragé de la rage

En ce moment, quand je suis calme, je suis exactement dans l'ambiance de cette géniale chanson de Vampire Weekend. Je vous raconte pas quand je suis pas calme...!



mardi 28 mai 2013

Oh les beaux livres !

Ca sent déjà les vacances (mais démultipliées !), les belles âmes et les joyeux moments...



Une biographie (ah bon ?) qui n'est absolument pas classique (ah ouf !) pour commencer, le passionnant et hallucinant Wiera Gran, l'accusée, d'Agata Tuszynska. Donc: l'auteure a pu rencontrer pendant quelques mois ou années Wiera Gran, isolée, fort âgée, aigrie mais encore pleine de vie. Elle en a tiré ce livre, sorte d'enquête sur une personnalité accusée de tous les soupçons, portrait d'une enragée, doutes sur sa propre écriture, biographie ressemblant à une fusée en décollage constant. Donc voilà un livre électrique, ébouriffant, sur un destin à part, et des questions sans réponses. Wiera Gran, donc, une jeune fille de Pologne, qui s'invente chanteuse dans les années 30 finissant, obtient un net succès, puis se retrouve confrontée à l'invasion allemande et au Ghetto de Varsovie...où elle restera chanteuse, puis finira par le quitter, et c'est là que rien ne s'arrête et que tout continuera à jamais. Car une fois la Pologne devenue communiste, elle est accusée d'avoir pactisé avec l'ennemi pour sortir du ghetto, sort blanchie du procès, puis recroisera ces accusations tout au long de sa vie, jusque dans les années 70 en Israël.
Une femme hors-normes aux prises, ou plutôt confondue avec l'Histoire et ses infinis tourbillons, une femme âgée pleine de rancoeurs (le film Le pianiste de Polanski fait partie de son collimateur, elle l'a connu ce pianiste...), une femme trouble également, on se retrouve donc face à un livre bourré de doutes, d'épopées, d'angoisse et de folies, jusqu'au coeur de l'écriture même, pleine de fulgurances et d'impasses. Une vie ou toutes les vies, je ne sais, mais un objet artitistique total, qui nous laisse au bord de tous les précipices des questions insolubles. Indispensable. Et Grand.



Alors en contrepoint l'infiniment petit de Kenneth White, que je continue de découvrir avec délectation. Infiniment petit, certes, le périmètre de Bretagne qu'il nous offre à découvrir dans La maison des marées, mais ne pas oublier: infiniment...Il s'installe dans un tout petit village avec sa femme, explore les alentours, rencontre des gens, et comme dans un autre livre dont j'avais parlé et qui évoquaient un voyage au Japon, c'est à la fois l'irréductible particularité du lieu, et l'incroyable présence de toutes les existences humaines, qui sont liées dans son écriture. Un auteur que je vais suivre encore, le prochain dans la pile à côté de moi va m'amener vers les confins. Miam.

 Passage en Corée avec deux très beaux courts récits, L'âme du vent de Jung-Hi Oh, deux récits centrés sur deux femmes fascinantes, et surtout sur une manière d'en parler qui ne l'est pas moins. Touchante, sensible, métaphorique, parfois poétique, cette écriture au plus près du coeur de nos vies est une réelle découverte qu'il me tarde là-aussi d'aller explorer davantage. Mystères de familles, de l'identité, du couple, d'une société, voilà, encore encore encore mais où s'arrêteront-ils ?, une nouvelle révélation coréenne, ou une nouvelle confirmation de la richesse artistique de ce pays à nul autre pareil.


Une poétique de la femme conseillé par Robert Misrahi, mon philosophe du bonheur tant admiré ?? Oh oh me voilà me voilà. François Solesmes, avec La non-pareille, observe tous les aspects de la poétique féminine, des cheveux aux jambes, en passant par tout le reste (passons passons enfin non ne passons pas !). Livre étonnant, entre l'analyse, le poème en prose, le blason, le récit, bref à tous les carrefours, livre riche et donc enrichissant: déjà que regarder les filles c'est parfait, les regarder avec ce livre caché dans un recoin de mes yeux, c'est encore mieux, enfin plus précisément encore autre: pas pareil, donc plus riche.


On finit avec une première pour moi, un polar congolais, Le chasseur de lucioles de Janis Otsiemi,  qui nous plonge dans un Brazzaville de la nuit, des traffics, et d'un serial Killer. Si l'intrigue ne redéfinit pas le roman à enquête, les lieux et surtout les mots en font une découverte absolument réjouissante. Non pas un ailleurs, mais un toujours proche bien différent de ce que l'on croit connaître. Là encore, il est temps de me pencher vers ces littératures que je connais trop peu: gare à vous, me voilà !

Ahiiii ! Mon groupe pop chouchou d'Ecosse (enfin, avec d'autres) Camera Obscura est de retour ! Pas encore de clip du nouvel album, alors une chanson ancienne, pour moi liée à une fille mais personne ne sait qui ni pourquoi: juste, quand vers la fin les cordes prennent le dessus, moi je souris, et je sais pourquoi, et je souris encore plus...



jeudi 23 mai 2013

J'ai encore lu quelques BD...



Allez, une petite prière sans importance: qu'Abdellatif Kechiche nous console de la nullité de certains films présentés comme importants...Va falloir attendre octobre pour La vie d'Adèle chapitre 1 et 2, vie que j'ai déjà l'impression de partager...

La pieuvre de Manfredi Giffone, Fabrizio Longo et Alessandro Parodi, est une BD énorme, plus de 400 pages, et un projet énorme: raconter la lutte contre la Maffia dans les années 79-95 (à peu près): de l'assassinat d'Aldo Moro à celui du juge Falcone (en gros): Le tout sous forme d'allégorie animale, les personnages étant à tête de cochon, de coqs, etc...S'il est un peu difficile au début de s'y repérer, les tentacules de la pieuvre étant multiples, la BD s'avère vite fascinante, ultra-choquante, et désespérante quant aux chances de lutte...Radiographie d'un pays autant que de deux systèmes, cette BD a l'ampleur des grands films sur la Maffia: une épopée, mais se dirigeant vers la défaite des chevaliers...encore une confirmation de la grande forme actuelle de la BD italienne.

L'origine de la vie de Leif Tande vient d'un blog (donc normalement je m'enfuis) et s'avère très drôle: c'est encore une BD québécoise (elles pleuvent chez moi en ce moment) et c'est hilarant: la première cellule de vie nous parle...donc graphiquement je peux presque le faire, par contre l'humour et les anachronismes sont omniprésents, avec en prime quelques paradoxes bien trouvés. Ca a l'avantage de l'humour, ça détend, ça a aussi ses limites: c'est plutôt oubliable, mais franchement, je me suis marré pendant là aussi 400 pages. Rafraîchissant.




Québec encore, et retour de Zviane, l'une des auteures du très très apprécié L'ostie d'chat dont je parlais il y a peu, avec La plus jolie fin du monde, où on suit le quotidien de l'auteure, jeune fille d'aujourd'hui, entre boulot, ambitions, espoirs, amis, amour, famille, etc...rien que du très classique, mais chez elle c'est d'abord plein de vivacité, et d'humour plus profond qu'il n'en a l'air. Alors on se délecte, on se dit que ça devrait plaire à plein de filles, et on s'est régalés et on en redemande !! Vive les filles, vive le Québec, vive les filles du Québec !





Lucky in love de Georges Chieffet et Stephen De Stephano est un autre délire américain cette fin, absolument passionnant, autour d'un raté aussi maladroit qu'attachant, qui au retour de la guerre tente à la fois de s'inventer un passé glorieux, et de construire un présent à la hauteur. Echecs en vue. Très drôle, mais d'un humour bien grinçant, ultra-satirique, assez rare en BD américaine, Cette BD acide et finalement assez déstabilisante aura elle aussi su envoyer ses jolis uppercuts. En plus, c'est à suivre, je suivrai.





Dans le même genre si on veut, mais bien plus radical, Petey & Pussy de John Kerschbaum est une tornade d'humour décapant, grinçant, très provoc, et très drôle: un chien et un chat à tête humaine habitant chez une vieille complètement frappée, dissertent, boivent dans un bar, s'engueulent avec une souris, et j'en passe: c'est assez trash mais aussi subtil (le trash m'ennuie très vite, c'est tellement facile, mais ici ce n'est pas que cela): assez dégueu moralement, mais encore très tonique mentalement.

Les Fables scientifiques de Darryl Cunningham sont, a priori, un projet assez étonnant: lutter contre des abus et des idées reçues grâce à la science, en BD...donc la question de l'effet de Serres (sujet central aux USA), de l'homéopathie, du nucléaire, sont ici débattus de manière fort sérieuse: si la démarche est vraiment originale, j'ai quelques scepticismes quant au fonds, alors que je partage la plupart des idées de l'auteur: il y aurait je le crains quelques raccourcis plutôt gênants. Ceci dit, il est effarant de voir comment, aux USA, donc bientôt ou déjà chez nous, il est facile de manipuler notre opinion à l'aide d'une science mal utilisée: projet passionnant, résultat déstabilisant.



Dora, d'Ignacio Minaverry, est une BD argentine très ambitieuse, et non-finie (je savais pas): il y aura une suite: mélange de genres assez inattendus, l'adolescence, l'amitié, le nazisme non pas à l'époque mais bien après la guerre, en Amérique du Sud où se sont réfugiés nombre d'anciens nazis, cette BD aux ellipses complexes, aux dessins très travaillés, est une belle promesse, une tentative originale de mêler plusieurs thématiques devenues des classiques de la BD contemporaine, tout en les redéfinissant. C'est vraiment frustrant que ce ne soit pas encore fini, mais attendre fait partie des plaisirs des découvertes.



La colline empoisonnée de Freddy Nadolny Poustochkine est (encore !) une BD très originale, clairement coupée en deux mais où peu à peu il faut trouver des chemins cachés reliant les deux parties. D'abord, un jeune apprenti bouddhiste est en proie aux règles de cette vie à construire. Ensuite, deux ados construisent leur quotidien loin de leur pays d'origine. Et donc peu à peu, des ramifications...poétique tant par ses graphismes que par ses thèmes, très onirique et mystérieuse, cette BD ambitieuse mérite les regards...




On finira avec une BD qui m'a fait passer par bien des états (sauf l'extase) : Little star d'Andi Watson est le récit de la vie quotidienne d'un couple sans problème ni avantage particuliers, pendant l'année des trois ans de leur petite fille. Centré autour de l'analyse de ce quotidien, j'ai d'abord été extrêmement mécontent de l'image de l'enfance, de la paternité, de la maternité et du couple, puis de ce que c'est qu'avoir un enfant, qui était présentée. Puis peu à peu je me suis radouci et ai essayé de comprendre cette vision, et si je trouve que c'est empli de fausses réponses, je reconnais à cette BD de bonnes questions. Ce fut pour moi comme lire de la science-fiction: dieu sait si je ne sais toujours pas, et ne compte pas le savoir, ce que signifie concrètement et humainement avoir un enfant, mais une chose est sûre: cela ne signifie pas ce que montre cette BD. Très stimulante, donc, mais je dirai involontairement. Décidément, la représentation de l'enfance, dans l'art, est souvent source de grognements de ma part !! Mais puisque je ne lis surtout pas pour être d'accord avec l'auteur, ni pour être en désaccord, surtout pas non plus,  alors, ça va !

On restera au Canada pour la musique, les géniaux Do make say think passent la semaine prochaine à Bordeaux, je devrais y être !




lundi 20 mai 2013

Lire ci-dessous: amour !




Ah en contrepoint, par contre, une découverte musicale qui m'énamoure: Jenny Hval ! Je sais pas qui c'est ni d'où elle vient, seule certitude: elle est là. Et je rêve gentiment qu'Amandine aime aussi !
Un disque court de fille originale, dingue musicalement: oh que ça fait du bien. Une déambulation dans tous les recoins possibles des musiques déviantes et incontrôlables: c'est ici ! Elle fait tout avec sa voix, jusqu'à des cris ou des aigus hallucinés, elle chante, parle, hurle, murmure et caresse. Elle est folle et elle me plaît comme ça.
Alors je pense à toutes ces musiciennes timbrées qui n'ont jamais dévié de leurs ailleurs solitaires: Angelika Kolhermann, Shannon Wright, Colleen, Faustine Seilman, Anne Laplantine, Mami Chan, The konki Duet, Delphine Dora,  et les si inconnus et pourtant si incroyables S...et je me dis qu'entouré de toutes ces musiques tout autres, je peux bien siroter un vin blanc en souriant...






Le passé n'est pas passé



Qu'on se le dise en préambule: pour moi, Asghar Farhadi est un très grand cinéaste, bien sûr j'ai été impressionné par son film le plus connu, Une séparation, mais j'avoue aimer encore plus le si étrange A propos d'Elly (un des plus beaux films de ces dernières années sur le mystère), et j'ai vu il y a peu le stupéfiant La fête du feu, à la mise en scène incroyable. Mais, et ce n'est pas souvent que sur mon blog j'en viens à parler d'oeuvres que je n'ai pas (su) aimé, là clairement Le passé ça me pose questions...
Je ne doute nullement de la sincérité de l'auteur quant à son projet: j'ai du mal à imaginer ce monsieur courant après les tendances ou le succès; et pourtant c'est l'impression qui reste de ma vision: une telle fadeur, il faut bien en trouver des raisons.
Après Jeff Nichols et Wong kar-Waï, je m'attendais à un nouveau feu d'artifice d'un maître, mais là les pétards étaient mouillés: il faudra attendre après l'été pour retrouver Desplechin et mon adoré Abdellatif Kechiche...Farhadi a donc voulu poursuivre ses thématiques, mais il a changé les outils, et ça change tout. Son film, pour moi, ne décolle jamais, pire: reste vraiment au sol, parce qu'il accumule tout le milieu qui mine le cinéma depuis quelques temps. Il est un signe, plus qu'un échec. D'un côté il y a les gros films, ils s'annoncent, laissons-les jouer avec leur vacuité. A l'inverse, il y a les marges, ou les ailleurs: qu'elles vivent encore longtemps. Et puis il y a le centre, pour rien. Sauf que chez nous ce centre veut depuis longtemps un peu plus. Alors ses représentants les plus pitoyables (Jeunet, Klapisch, Jacques Audiard, Patrice Leconte, Kassovitz, Hazanavicius, Canet, et j'en oublie, tant mieux) se veulent en marge quand ils n'y sont plus, ou n'y ont jamais été. Et dans le dernier Farahdi, c'est ça qui fagocite tout: ce monde du centre a tout endormi, on a un film bon pour les Oscars, bon pour la télé, bon pour les profs, bons pour ceux qui se disent tiens on va aller se poser des questions devant un film fait pour ça, et pendant 2h10, rien ne se crée, rien ne se passe, rien ne se transforme. Le cinéma du centre a gagné, le film est porté par toute une presse (Première adore: tous aux abris !!), tout un engouement, engouement qu'on cherchait vainement quand le monsieur ne faisait pas des films que ces gens-là regardaient, on le pressent pour des prix à Cannes: ben tu m'étonnes, c'est du cinéma "d'auteur" à la Spielberg: du chamallow offert sous la prétention d'une pierre de rosette. Et moi, ça me fait vomir. Allez, Bérénice Bejo, repars jouer avec l'oscar de Jean Dujardin en continuant à croire que vous êtes des artistes, moi je retourne dans les joyeux ailleurs des cinémas minoritaires avec mes aimés: Desplechin, Kechiche, Honoré, Mikael Hers, Djinn Carrénard, Claire Denis, Carax, Bertrand Bonello, Pascale Ferran,  Héléna Klotz, et j'en oublie tant, on va construire de beaux châteaux. Sans vous !

Et grande nouvelle: Ghostpoet est de retour, et ça ya pas plus cool !





samedi 18 mai 2013

J'ai lu quelques BD: Très gros coups de coeur

On va faire en deux parties, en cette période de chapeaux de roue bien agréable...




Un Auteur d'abord, donc des hauteurs rares: et on se dit qu'il y a assez longtemps qu'une telle inventivité en BD n'avait pas effleuré mes yeux encore tout émus. Nate Powell donc, avec deux BD en prime, Swallow me whole et Any Empire. Deux BD centrées sur l'enfance, l'adolescence et la famille, donc le terreau le plus banal qui soit en BD contemporaine, mais qui dynamite ce matériau par un traitement graphique éblouissant. Ellipses à gogo, pas de trame centrale mais comme une mosaïque à reconstruire, alternance de passages muets souvent bouleversants et de passages dialogués, jeux sur les noirs et blancs, et surtout BD narrative certes mais centrée sur la psyché: donc des auscultations des cerveaux sans plonger dans la simple psychologie, mais des détours dans les fantasmes et les rêves, une démarche d'exploration psychanalytique et analytique proches d'une recherche des chaos. Alors certes ça rigole peu, mais comme exploration graphique des gouffres, j'avais rarement lu ça. En prime, ces deux livres, qui n'ont rien en commun, sont comme les deux faces d'une même thématique: une fille et son frère dans le premier, un garçon et sa soeur dans le second.  Nate Powell dans la cour des immenses.


Changement radical de direction avec une série éditée chez Shampooing, autant dire tout ce que je ne veux pas lire en BD: des pseudos auteurs bloggers qui confondent dessiner et faire de la BD, qui confondent des gens me lisent car je suis sur internet et je mérite ce succès par la qualité de mon travail. Et puis là, contrairement à la plupart des titres de la collection, excellente pioche, celle de L'ostie d'chat, de Zviane et Iris, une série autour de jeunes québécois, on va dire entre 25 et 30 ans: et pour une fois, quelque chose qui se veut comique est drôle, pétillant, parfois désopilant, parfois aussi grâce à des flashbacks, une certaine profondeur apparaît, et donc on suit les difficultés amoureuses et relationnelles de ce groupe, avec en bonus la langue québécoise délicieuse, et l'ensemble s'avère être ce que d'habitude je fuis avec plein sourire: une distraction, mais pas tout à fait gratuite. Utile de dire que j'attends impatiemment un tome 4 !


 
Un maître du manga désormais, l'auteur du premier livre que mon ptit gars a lu tout seul (j'en pleure encore d'émotion), le très grand Shigeru Mizuki, qui a à nouveau scotché le père et le fils avec 3, rue des mystères. De courtes histoires fantastiques, un genre assez peu représenté en BD (pas l'horreur, pas le gore, non non le pur fantastique) et ici diablement traité. Des histoires qui mettent mal à l'aise, d'autres plus délirantes (on a repéré les mêmes avec mon ptit gars), des mondes des morts, des esprits, donc une variété folle qui fait qu'on s'est englouti les deux tomes en un clin d'oeil, et comme toujours les personnages au physique unique de Mizuki. Continuer à partager ces auteurs avec mon bonhomme, ça doit s'appeler bonheur à plus l'infini...


Encore un virage avec Le bus, de Paul Kirchner, auteur dont j'avais adoré les strips sur mon ancien blog. Ici, ce sont à nouveau des strip avec un seul thème: un bus. Et ce moyen de transport va être décliné dans tous les délires poétiques, visuels et humains de l'auteur: on navigue donc entre Sempé, le surréalisme, Kafka, mais dans un bonheur constant: En fait, à chaque fois, on cherche l'astuce qui soudain surgit, et à chaque fois c'est pétillant d'invention. Une lecture aussi drôle qu'angoissante, car ces situations sont toujours sur une corde raide. Cadeau idéal.



Retour au Japon avec enfin la lecture du second tome du magistral Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi. Où il poursuit inlassablement sa quête folle: raconter dans tous les détails sa vie d'auteur de manga et d'inventeur d'un genre, le gekiga, qui révolutionna la vision de la BD. Mais ce n'est pas tant cela la folie du projet, c'est son extrême méticulosité: la BD est une nouvelle fois énorme, et détaille absolument tous les aspects concrets, quotidiens, d'une vie d'auteur de manga: la question du papier, le financement, les interminables projets avortés, les infinies discussions scénaristiques...tout ce qu'on ne voit presque jamais d'un art est là: sa dimension extrêmement concrète. Et cette idée rare me bouleverse toujours, que le plus intellectuel soit avant tout absolument concret et donc accessible. On voyait ça chez Truffaut dans La nuit américaine, ou chez Desplechin (qui présente son Jimmy P. aujourd'hui à Cannes, j'en pleure d'émotion là aussi, 23 ans de ma vie continuent à construire des sens) avec Esther Khan. Eh bien Tatsumi l'a fait aussi, ici. Amour amour.




On finira avec Little Saïgon, mémoires de viet-kieu, de Clément Baloup ou une autre plongée, après le très fort documentaire Cong-Binh, dans le Vietnam, mais ici à travers sa diaspora. En deux tomes, l'auteur part à la rencontre d'exilés, des hommes dans le premier tome qui est court mais dense, recueil de quatre témoignages aussi terrifiants (la vie là-bas pendant les guerres, les dangers, les fuites) que porteurs d'espoir (ces exils ont réussi, mais pas sans traces). Puis même technique dans le tome 2, beaucoup plus développé et centré sur quelques femmes en Amérique: du coup, un autre point de vue, mais les mêmes angoisses, terreurs et espoirs. Des vies cahotées par l'histoire mais desquelles ressort toujours une immense identité personnelle. Fort.


Moi en ce moment je passe beaucoup de mes journées avec les bordelais d'Odezenne, et ça me plaît trop ! Et je sais grâce à qui je les ai découvert ! 

 

 

jeudi 9 mai 2013

Promenade avec cette femme (et les autres)




Quand un roman commence ainsi, c'est un appel...

"En 1980, j'ai rencontré à New-York un homme qui a promis de changer ma vie, si je le laissais faire. Le marché était le suivant: il me dirait tout, absolument tout, à condition que je ne cite pas mes sources et que personne n'apprenne que nous avions une vraie relation. Au début sa proposition ne parut pas très intéressante, mais j'eus l'intuition qu'ils savait quelque chose que j'ignorais sur la façon de penser des hommes - et à l'époque je crus que cette découverte m'éclairerait sur la manière dont je pourrais construire ma vie. J'étais séduite par l'idée que la teneur de notre lien ne serait connue ni à l'université où il enseignait, ni dans l'équipe du magazine dont ils faisait partie. Ni de mon petit ami dans le Vermont.
"Vous me donnez des informations, et vous voulez quoi en échange ?
- Vous me promettez que personne ne parviendra à monter jusqu'à moi. J'expliquerai tout ce que vous souhaitez savoir sur les hommes, mais il sera impossible à quiconque de deviner que cela vient de moi.
- Vous pensez que les hommes sont des êtres si spéciaux ?
- C'est une espèce à part. Je la comprends très bien parce que je m'y suis réfugié pour éviter les intempéries, dit-il. Vous êtes intelligente, mais il vous manque les connaissances de base qui vous obligeront à voir la réalité en face.
- Ce n'est pas comme ça qu'on parle aux gens, dis-je.
Tu t'imagines que je ne le sais pas ?" répliqua-t-il, frottant doucement mon poignet avec son pouce."



vendredi 3 mai 2013

Le très grandmaster




On commencera par LA phrase du séjour à Montpellier, honneur au grand Zucco qui dans une soirée qui m'a rendu heureux a sorti cette vérité première: "Mais enfin Boris, on envoie pas une lettre d'adieu à quelqu'un qu'on connaît pas !!"
Sinon, tout avait commencé par un train à 5h40 du matin, mais surtout un appel de **** (chut c'est secret) à 5h20 (une première pour moi) m'annonçant "Bon ben jsuis à la gare, je crois qu'on prend le même train !!". Alors là, un voyage comme ça, j'ignorais que c'était possible, et même rester coincés deux heures en gare d'Agen ne fut rien d'autre qu'un prolongement de ce moment hors de toutes normes...Salutations plus que distinguées, avec coeur serré mais aussi vibrant...
Après, j'ai découvert que l'amitié est pour l'indien des Inno (pas encore des plaines !) une notion très particulière: on me promet un Montpellier et des Montpelliéraines déchaînées, et c'est ville morte le jour de l'arrivée ! On me laisse agoniser en pleine nuit sur un trottoir, et pour toute aide on me jette les clés de l'appart dessus, rentre tout seul démerde-toi, moi je mange au resto de bobos !! Et pour finir, à Sauramps, on néglige de me préciser que cette dame ETAIT spotless mind, et par cette négligence on m'empêche de plonger dans la vraie vie. On n'oubliera pas non plus les supermarchés (j'y ai jamais autant été en si peu de temps) où un simple coup de téléphone devient prétexte à fantasmes hors-sujets, le supermarché du shit du Zucco, et bien sur la rupture de stock tellement symbolique des bricks en passant par les plages sans sirènes, et pleines de digues ...Honnêtement, je vois plus l'amitié pareille et j'ai pas dit le mieux (ou le pire ?). Déjà, j'avais jamais rencontré quelqu'un qui, alors qu'on est assis à la même table, m'envoie un mail à mes deux adresses. Et enfin, c'est quand même scandaleux de choisir comme seul véritable ami, comme frère d'âme je dirai, alors que je suis là, un mec qui confond amour romanesque et piscine à gazon synthétique...Regrimpe sur tes poneys, l'indien, je pars devant entourés d'amazones...!!




Par contre, clairement, le rayon chefs-d'oeuvre de cinéma n'était pas en rupture de stock, et la première déflagration nous vient d'un de mes maîtres, que dis-je, un de mes fidèles constructeurs de vraie vie depuis désormais vingt ans, Wong Kar-Waï qui avec The grandmaster a frappé le premier coup des séismes cinéma de 2013 pour moi (il était temps). Pas du tout film sur le Kung-Fu comme on l'annonce, mais bien somme (fresque selon certains ha ha ha !) de toute une vie, ou de toute vie, et surtout de toute une oeuvre. Si 2046 reste à mon sens le film le plus parfait réalisé sur les sentiments, ici ce double inversé, cette autre face de la même pièce, complète le tableau (et le mot, par la beauté constante de chaque image, remet à leur place tous les pseudos esthètes riches ou manieurs de gadgets dits technologiques stupidement provoc de ces dernières années, faiseurs de "belles" images et surtout infaiseurs de moindre pensée - ne jamais oublier le mot de Jean Douchet, "plus la technique est facile, plus l'art est difficile") par le biais des corps du Kung-Fu: coeur, âme et corps: oui, c'est clair, Wong kar-Waï n'aura jamais su filmer que l'humain, en le rendant beau comme aucun cinéaste à ma connaissance. Mais ces humains là, pour n'en pas faire des pantins de cinéma (des acteurs qui viennent se montrer), il en fait des personnages ancrés dans une époque, plusieurs mêmes, dans des questions sociales, politiques, et bien sûr relationnelles: enfants, parents, amis, ennemis, collègues, et amoureux. Wong Kar-Waï, avec son regard aimanté par la recherche de toutes les beautés, pas simplement plastiques donc creuses, mais multidimensionnelles donc humaines, donne ici un opéra fabuleux, une geste qu'il faut aller revoir, et j'irai, tant elle demande et donne matières à penser comment vivre, et revivre. C'est comme filmer la beauté profonde de l'existence. C'est donc essentiel. On est donc sortis de la salle suffoqués: tant d'oxygène mental, ça achève avant d'élever. Génuflexions.



Et on remet ça deux jours après, avec le très très impressionnant Mud de Jeff Nichols. Le monsieur là, je l'avais découvert avec Take Shelter, un film exploit qui ne m'avait pas totalement convaincu mais m'avait bien scotché, filmant sans fin les méandres d'un cerveau. Truffaut le préconisait, que le film suivant soit aux inverses du précédent (tant de pseudo cinéastes feraient si bien d'y réfléchir, le calque, c'est chiant), Mud part tout ailleurs. Pourtant, c'est la même Amérique des bas-fonds sociaux, l'Arkansas paumé de chez paumés. Mais fini le seul cerveau: on le confronte au monde (même en modèle réduit: trois baraques, un bled, une île, et voilà le monde) et on observe les étincelles provenant de leur rencontre. Et quitte à se lancer là-dedans, on y lance deux pré-ados, dans une atmosphère qui m'a fait penser à la fois à Stand by me (avec une dimension plus existentielle) et au fabuleux Les géants de Bouli Lanners (pour la recréation impeccable des âmes de la pré-adolescence - on est dans la vraie vie ici, pas dans la niaiserie de cet imbécile de Spielberg qui va massacrer le prochain palmarès de Cannes avec son ignorance du cinéma tel qu'il existe, ou la naïveté lourdaude de Moonrise Kingdom qui ne sait pas ce qu'est un adulte). Mais ces "références" sûrement absentes ne peuvent suffire: le film, par sa réalisation infusée d'intelligence, refuse toute facilité: aucun effet de manche au spectateur, aucune concession, aucune putasserie: à nous de nous empêtrer puis dépêtrer dans la  pâte. Et si le Wong Kar-Waï est très vite apparu comme un film-reflet de nos vies, un immédiat miroir, ici au contraire on part aux antipodes (âges, situations, lieux) pour finalement mieux revenir vers toute existence: film-boomerang. Et donc, quels que soient les âges du film, tout sera brassé, toutes les questions que l'on rencontre, dont l'on se rend compte, filiation, élans, amours, étrangeté des amours, filles, garçons, amitié, décodage des signes, pertes, retrouvailles, découvertes, incompréhensions et donc découvertes toujours. Le film est un gouffre, qui se nomme remises en questions, et nous emporte tellement loin, au coeur même de nos expériences, qu'on en est à nouveau ressortis tout chancelants, en se demandant comment cela avait pu être possible. La terre n'a pas tremblé: nos vies, si.



Avant ça, on avait déjà tutoyé les sommets avec Le temps de l'aventure de Jérome Bonnell, réalisateur dont le parcours ne m'a jamais passionné, toujours trop peu romanesque pour me toucher, mais ici, ça marche ! Et Emmanuelle Devos la condamnée au magnifique, surtout, elle marche, mais sur plusieurs chemins: loin de sa vie qu'elle contient de moins en moins, juste pour un jour. Près de cet inconnu, parce qu'il faut parfois savoir en passer par là pour trouver ce qu'on ignorait même chercher. Et donc ensuite vers un ailleurs qui n'aura rien à voir, ni à dire, avec l'avant. Car c'est bien un film resserré sur quelques heures où tout change, et c'est ce glissement subtil et tellement impensable que le film explore magnifiquement. Sujet connu, traitement élégant, frontal, et si entraînant. La première réplique, géniale (j'étais tombé amoureux en quelques secondes), "mais enfin je peux pas me lever à 6h50, j'ai rien d'humain à cette heure là" est donc un trompe-l'oeil: elle aura tant d'humain, ce lendemain à 6h50, elle n'aura sûrement pas "trompé", par contre elle n'aura clairement plus le même oeil, sur elle, sur lui et lui, sur eux, sur tant. Pas qu'un trompe-l'oeil donc: un regard qui apprend à avoir un peu mieux raison, pas sur la vie, ça on s'en fout, mais sur soi.



Un documentaire classique dans sa forme pour finir, Free Angela de Shola Lynch, mais tellement touchant et étonnant par la personnalité fémininement et politiquement hors du commun de la dame, qu'il en est essentiel. Découvrir la vraie vie par la fiction, c'est déjà énorme, mais par la réalité c'est pas mal aussi. Donc voir la dame aujourd'hui réfléchir, au sens absolu du terme, sur son passé et surtout son chemin, c'est avoir la bouche bée, non, le cerveau bée, pendant l'intégralité du film. Génuflexions encore, pas devant l'objet documentaire, mais devant cette Dame. Dame !

Allez, une dédicace au grandmaster indien Boris, le grand manitou des conditionnels, après tout, ç'aurait été probablement grâce à cette chanson qu'il aurait  fini couvert par de l'or...




"Mes oriflammes, c'est tes cheveux..." (ceci est une dédicace)



Une "autobiographie" qui n'est pas une, enfin si mais tellement différente, l'autobiographie d'une vie et d'un système philosophique du bonheur, souvent très ardue à lire, toujours pleine d'éblouissements et d'idées électriques (faut recharger les batteries !). Lue dans le train, emportée pour la vie. Laissons Monsieur Misrahi parler du bonheur, puis de l'amour tout autre...

"La chose était (et est) claire pour moi : le « bonheur » est possible et réalisable parce qu’il est un acte et non une passivité, une passion. Et c’est parce qu’il est un acte de la liberté désirante, l’acte même de la vie déployant son Désir et sa pensée, que le bonheur est accessible en droit par tout individu. Et c’est pour cela, selon moi, qu’il peut aussi constituer la référence fondatrice permettant l’élaboration d’une éthique (à la fois « morale » et « politique »).
Ces vérités, devenues pour moi des évidences, n’étaient pas reconnues comme telles par un vaste public. Elles n’en restaient pas moins à mes yeux des vérités et des évidences. J’en suis d’autant plus persuadé que la lettre même de ma doctrine suppose que chacun invente sa vie à son gré, choisissant lui même les Actes et les activités dont la synthèse constituera son bonheur singulier. Et elle suppose en même temps, par l’universalité du singulier vécu en profondeur, que chacun puisse communiquer et exprimer cette joie de vivre qui, pour un esprit immanentiste, peut seule justifier la vie elle-même."


"Le « tout autre » n’était pas non plus pour moi un domaine étranger à l’univers de Colette. L’expression ne désignait pas pour moi d’autres amours que celui de Colette, elle n’était pas la réponse à une insatisfaction.
Non. L’amour tout autre désignait pour moi (et désigne toujours) une modalité totalement différente de la forme ordinaire et courante de l’amour.
Il ne s’agit pas le moins du monde d’une opposition entre amour charnel et amour spirituel.
Il s’agit d’une relation à l’autre qui exclut toutes les dialectiques de la « passion » mais non pas l’intensité du sentiment vécu. Plus précisément, l’amour tout autre, après et grâce à la conversion, exclut toutes les réactions de la réversibilité passive. C’est à dire toutes les attitudes qui calculent ce qui est reçu et ce qui est donné, et qui retournement vers l’autre les coups ou les dons qu’on a pensé en recevoir. Le tout autre exclut donc le ressentiment, la jalousie, la vengeance, l’exigence aussi et la domination, autre nom de l’amour aveugle de soi-même.
Cette forme d’amour, sans exigence ni réversibilité, uniquement fondée sur la réciprocité de la reconnaissance, j’ai toujours eu à cœur de la vivre réellement. Qu’il s’agisse, à différentes époques, de mes jeunes amies ou plus tard de femmes actives, j’ai toujours déployé une forme de relation sans cohabitation, sans devoirs ni exigences, sans jalousies ni oppression. La réussite, la vitalité,(non certes l’éternité) de cette forme d’amour non-rencontrée dans la littérature ni dans les rapports cliniques des psychothérapeutes, cette réussite de l’amour qui permet de parler d’amour heureux, suppose évidemment que les deux protagonistes aient accompli leur conversion réfléchie, leur libération intérieure préalable. Voilà pourquoi mes amies furent toujours des philosophes, ou des êtres de culture. Seules l’autonomie et l’intelligence respectives des sujets pouvaient permettre l’accès à une forme de l’amour qui produise joie et sérénité, et non pas angoisse et drame.
Nulle revendication matérielle n’intervint jamais dans ma vie affective et la réelle tristesse de telle ou telle séparation ne dura jamais longtemps, n’entraina aucune récrimination et n’empêcha jamais le retour de la sérénité à la lumière de la conversion et du choix de vie."