Pages

mardi 29 octobre 2013

J'ai lu quelques manga...

...entre la traversée de cavernes à la nage accompagné, les soirées pas prévues (avec herbe livrée à domicile c'est mieux que les pizza ou les sushi),  où on découvre d'abord des mots, puis des mots bizarrement placés dans les phrases, et enfin Adamo !, les bières sur une terrasse qui en fait est un trottoir à parler frigo, les mots de loin (Ah ! C'est loin...), les croisements pour rien à la bibli (tiens, encore vous ??!!), et puis l'envie de Macédoine et me connaissant, attention danger !!!...

Et ce vieux Lou Reed qui s'en va: un souvenir qui me fait encore sourire: à l'époque (bénie) où on pouvait fumer dans les lieux publics et donc les concerts, lui avait mis une grande pancarte devant la salle où il jouait, précisant qu'il ne fallait pas fumer, à la demande de l'artiste. Soit...on était rentrés un peu bougonnant, on respecte, et au bout d'une heure de concert Lou Reed...s'allume une cigarette ! Honnêtement, et même encore aujourd'hui, j'adore !
Allez, le monsieur à la bibli il a dit Ah mais vous vous êtes jeté sur tous les manga que je viens d'acheter...ben ouais !

On commence avec une histoire en deux tomes, le très beau et très troublant Kasane de Gou Tanabe, qui est je crois l'adaptation d'un classique de la littérature de fantômes, un genre dont j'ignore tout et que j'ai vaguement croisé dans quelques films japonais qui m'avaient quelque peu échappé (Kaidan, certains Kyoshi Kurosawa...), mais ici traité dans un noir et blanc somptueux, très cinématographique justement. Un jeune homme, dans la campagne japonaise, découvre par hasard une professeur de musique et va en tomber amoureux, mais c'est sans compter sur certaines malédictions, tant fantastiques qu'humaines (jalousie...). Dès lors les étapes du récit s'emboitent et vont finir par former un tout fascinant, une ambiance unique, crépusculaire, angoissante, oppressante. Le monsieur de la bibli hurlait partout d'admiration pour cette BD, je n'irai pas jusque là (et pourtant je sais aussi hurler d'admiration) mais je reconnais avec joie que dans un genre qui, en BD, ne m'a jamais beaucoup convaincu, on tient là une perle rare.

C'est pas un manga mais un cousin coréen manhwa qui stupeur avait échappé à ma vigilance (toute BD coréenne existant et à ma portée se doit d'être lue), le recueil de nouvelles Mijeong de Byun Jun-Byung s'avère aussi réussi que trop classique encore, j'ai lu les autres BD de l'auteur il y a quelques années et je crois me souvenir que ça se bonifie sans cesse. Donc là, ce sont des histoires tragiques et romantiques - et pourtant non dénuées d'humour - de l'adolescence ou de la jeunesse, le plus souvent contemporaines, valant bien plus pour leurs graphismes variés et souvent étonnants, que pour leur scénario somme toutes classique (ce n'est pas un défaut, c'est un manque d'excitation). Ca m'a beaucoup fait penser à du Kiriko Nananan refait par un homme, et honnêtement, pour moi, c'est un très beau compliment.

Mabui - l'âme d'Okinawa de Susumu Higa poursuit l'oeuvre à part de ce monsieur qui concentre ses manga sur l'île d'Okinawa. J'avais déjà été ébloui par ses récits autour de la guerre (Soldats de sable je crois), là c'est le quotidien dans les terres où l'armée américaine s'était installée qui est au coeur des nouvelles, à travers des situations simples (et donc complexes par l'Histoire), des personnages souvent âgés (et leur descendance) des détails récurrents (le bruit infernal des avions), donc une sorte d'auscultation de l'humanité dans le quotidien, traversé par la tradition du coin qui est la prière, récurrente dans le recueil. Un contexte et une manière de le traiter assez inconnu de moi dans le manga, un livre atypique et qui par cela, et surtout par l'attention portée à chacune et chacun, devient extrêmement touchant et subtil.

Autre recueil, pour le moins étonnant: Poissons en eau trouble de Susumu Katsumata est clairement coupé en trois, et pour un des deux membres du bureau d'admiration des manga de Shigeru Mizuki (le deuxième est mon ptit gars), ce recueil est une vraie curiosité. Car certaines des nouvelles ici présentes datent des années 70 et mettent en scène des kappa et des yokaï, donc peuvent avoir influencé le maître ! Ces nouvelles ont le même ton de drôlerie que chez Mizuki, dans un dessin bien différent. Mais on trouve aussi dans ce recueil hétéroclite (c'est ici une qualité) des récits émouvants sur l'abandon (l'auteur est orphelin) d'une manière plus métaphorique qu'autobiographique), et bien plus surprenant encore, surtout qu'il datent des années 70, deux récits centrés autour des "gitans du nucléaire", ces ouvriers freelance sans qualification qui sillonnent le pays pour se faire embaucher dans les centrales. Et là finalement ce qui terrifie, outre la dimension politique certaine, c'est que chaque case fait penser au film (très raté) de Rebecca Zlotoswki, Grand central, dont j'ai brièvement parlé il y a peu: gloups...une BD des années 70 dénonçant une forme de travail révèle qu'en quarante ans ce type de travail dans les centrales n'a visiblement pas changé...hum...

On finit sur du plus anecdotique, PIL de Mari Yamazaki, l'auteur très connue pour sa série (sans quasi aucun intérêt comme aujourd'hui toutes les séries manga, et même toute série TV, nouvelle manufacture industrielle du pseudo-cinéma !) Therma romae, est une suite, plutôt qu'une somme, de confrontations cocasses entre une ado, la société, ses idées punk (simplifiées) et son grand-père. Ca se lit comme ça s'oublie, c'est amusant mais très répétitif, ça a juste confirmé mon sentiment depuis un an face au principe de la série: qu'il reste loin de moi, merci !





Alice in neverland est un groupe français (je sais rien de plus), leur disque est chez moi j'ignore absolument comment et pourquoi, mais j'avoue avoir été tout à fait séduit par l'ambiance entre féérie et inquiétante étrangeté, voilà un album aussi intéressant que prometteur, évidemment mes morceaux préférés je les trouve pas en clip, alors on y va un peu déçu pour l'officiel...

 



lundi 21 octobre 2013

En vers et pour tout

"Alors qu'assez trempés nous obstinions, tenace
 Moi dans mon burberry ruisselant de la face
 Sous ton manteau de plui' toi, conservant au sec
 Le trésor de tes seins et tes cuisses avec
 Il me vint tout à coup une idée mirifique"

Et une première dans mes années de blogs, me voici à parler d'un...recueil de poèmes, sachant que je ne sais absolument pas lire la poésie, encore moins en parler. Mais c'est un livre génialissime, et c'est monsieur Jacques Roubaud, alors...



Quelques souvenirs d'abord...monsieur Roubaud, 80 ans au compteur et une folle jeunesse (au sens de fraîcheur) d'esprit et d'écriture, je l'ai vu en conférence dans une salle je sais pas où il y a surement plus de quinze ans: je sais pas ce que je faisais là, je vais jamais à la moindre conférence (Ah si j'ai aussi vu Derrida et Louis-René des Forêts mais c'est tout !), mais donc en un sens je l'ai "vu". Roubaud c'est aussi quelques livres de lui jamais lus mais fort intrigants, dont mon plus précieux est un joli "album" (c'en est pas un) autour de la peinture de Constable: très beau, pas lu ! Et il y a un an et demi, c'est la décision casse-gueule et totalement irréfléchie de balancer au boulot son recueil Quelque chose noir sans évidemment l'avoir lu: j'ai bien galéré pendant les vacances, j'ai bien rien compris, j'ai bien flippé et puis...ce fut magique ! Une poésie assez ardue en apparence, coulant d'intelligence et d'inattendu en fait. Ya eu des échos !

Là, grâce à Marie Richeux (Marie Richeux je t'aime !), l'an dernier j'entends parler avec délices de son dernier ouvrage: Ode à la ligne 29 des autobus parisiens. Mis à part que comme toujours il se renouvelle absolument (une qualité artistique et humaine que je continue de vénérer), j'avais bien noté dans ma tête ce livre que, puisque recueil de poèmes, je ne lirai jamais. Et il y a peu il me tend les bras à la bibliothèque: quitte à ne pas le lire, autant le prendre et le ramener dans trois semaines !

Par acquis de conscience je feuillette: qu'est-ce que c'est encore que ça ??!! Orthographe non respectée, typographie bizarre pleine de blancs bizarres, plein de décalages, et en prime c'est écrit en plusieurs couleurs: noir, bleu, rouge, vert, mauve, gris, et j'en passe...moi je souris...un petit coup d'oeil sur une précision liminaire: les contraintes, tradition chez Roubaud puisque membre de l'OULIPO: c'est écrit en alexandrins, et les couleurs correspondent en fait à son goût des digressions, pour aider la lecture: il la conseille à voix haute...

Par réel acquis de conscience, je lis le début et là: c'est génial. Bien sûr il faut un léger temps d'adaptation, à la disposition, à l'orthographe et aux digressions: mais très vite, cet aspect ludique force le ravissement, tant le texte fourmille d'inventions. Et alors là, c'est clair, c'est parti: en fait Roubaud monte dans l'autobus 29, à Paris, et traverse l'intégralité de la ligne, chaque arrêt est une étape de l'ode.
Oh mais que c'est inventif, drôle, très drôle, beau, très beau, surprenant, très surprenant, ça emporte comme un torrent mais qui se donnerait les aspects d'un ruisseau. C'est modeste, humble, tout en allusion, mais derrière chaque vers brille la plus limpide intelligence: celle qui la ramène pas. Virtuosité totale, offerte en simplicité comme naturelle. Alors on traversera une ville, son présent et son passé, on rendra hommage en clin d'oeil à une multitude d'artistes, on croisera les passagers, les gens de la vie de Roubaud sans jamais que cela soit dit explicitement, on parlera de magasins, de glaces, de la mode grunge (passage faramineux de drôlerie), de l'enfance, de la vieillesse, il y aura même une petite aventure dans ce bus, on brassera finalement tout ce qui fait le sel de la vie, dans ses grandeurs comme dans son quotidien le plus anodin en apparence. Et on ressort du court livre gonflé à bloc, avec la seule envie d'aller vers du peu pour y déceler le grand (réciproque à vérifier !), mais toujours d'aller, de considérer nos bouts d'existence comme des promenades guidées par le parfum délicieux de l'ouverture d'esprit d'un monsieur de 80 ans chez qui tout pétille encore. Une ligne de bus, et tout repart toujours...probablement ma plus belle lecture de l'année, pour l'instant.

"Je suis le révolu het je suis la présence
 Au sein d'un même corps de deux expéri-ence
 Contradictoires."

Et un bon vieux Tricky des familles pour musique, ça a bien dix ans déjà ça.


jeudi 17 octobre 2013

Leçons à ne pas apprendre





Quand la place est gagnée, vérifie la date.
Quand on te l'affirme, change peut-être de chemin.
Quand ya une émission interdite aux moins de 18 ans, trouve le code.
Quand le tarot dit oui, dis non.
Quand ya prophétie, ya autres possibilités.
Quand on te dit jeudi, faut que ce soit après 11h.
Quand ya La femme et Barbara Carlotti, bois pas trop sur la lune avant.
Quand un film devient muet, fais ce que tu veux des images.
Quand ya l'avion, ya quand même le bus pas loin et ça compte même à Jérusalem.
Quand on te dit viens, va et viens. Et Joao Cesar Monteiro te sourira, là-haut.
Quand on te demande ce que c'est, réponds simplement que c'est une tomate.
Quand ya une distance infranchissable, oublie pas qu'il n'y a plus qu'à traverser (in memoriam  summer 2012 !)
Quand on se demande ce que tout ça veut dire (tout ça quoi ?), toi tu sais (mais ya que toi qui sais qui est ce toi - ici c'est moi), alors sourires.

"Je leur avais confié pour un lavage à sec le
  Somptueux duo de draps japonais qu'en offrande
  De mari-age Loleh et Claude Roy
  M'avaient offert et ces escrocs là prétendirent
  Qu'ils ne les trouvaient pas.
  J'en étouffe de rage encore quand j'y songe
  Je n'osai porter plainte il me fallut souffrir
  Le deuil de mes beaux draps jusqu'au jour où m'enfuir
  Du quartier bien plus tard devint inévitable
  Pour des raisons qu'il vaut mieux laisser sous le sable
  De l'oubli."
                                        Jacques Roubaud



  

 

vendredi 11 octobre 2013

Miroiteront, surgiront, repartiront toutes les bourrasques

L'ai enfin vu, une seule fois, j'y retourne dans deux jours ! C'est dire !



On commencera par régler la fausse question omniprésente des médias: le discours tenu autour du film est globalement, pour le très peu que j'en ai entendu-subi, lamentable et faux. Ca en dit bien plus long sur ce milieu que sur le film. Promo ratée ? Ben allez regarder des pubs, ça c'est de la promo, ou des bande-annonces de gros films, là on a affaire à une oeuvre d'art. Si faut qu'on en entende "bien" parler, que ça "donne envie", ben allez ailleurs. On peut aussi percevoir l'intérêt, ou s'interroger sur ce qu'on veut, par sur ce qu'on nous dit de faire. Cinéaste tortionnaire ? Quand je vois le fric jeté dans la nullité de films anodins je vois pas en quoi quelqu'un d'exigeant artistiquement et qui propose une expérience humaine - donc quelque chose de non confortable, qui oblige à changer, donc dans laquelle il faut en passer par des souffrances - qui va forcément être autre chose que le rire facile ou l'émotion téléphonée, doit s'en prendre plein la gueule. C'est plutôt les tièdes qu'il faudrait jeter ! Film sur la passion ? Oui absolument mais enfin c'est quand même aussi bien plus que ça, tellement plus. Scènes d'amour crues voire choquantes ? Eh ben si c'est ces quelques minutes, d'une intensité folle, qui suffisent à émoustiller voire choquer ce monde-là, ça fait vraiment peur, il m'a l'air grave aseptisé, ce monde là, il ressemble vraiment à ce qu'il est: TV et internet, le vide.




Place au plein: le film ! Plein débordant. Et déjà un titre: La vie d'Adèle, c'est comme j'avais fini par l'oublier la vie d'une fille, de ses seize à 25 ans environ, on saura jamais vraiment puisque les ellipses brusques empêchent de se situer clairement, mais on s'en fout de ça. Echo immédiat de La vie de Marianne de Marivaux évoqué dès le début, bien plus selon moi que réécriture de la fameuse BD Le bleu est une couleur chaude, BD sympa (aux abris donc) parfaite pour TV et internet, je l'ai lue il y a trois ans, j'avais même pas pris la peine d'en parler sur mon vieux blog ! Dès le début, c'est une plongée dans le cinéma selon Kechiche, et c'est peut-être ça qui m'a le plus surpris tant on nous le fait oublier par ce discours sur la passion et les deux filles: absence totale de musique (sauf si les personnages en écoutent), sécheresse apparente du montage (alternance de courtes scènes et d'autres un peu plus développées), dialogues en apparence très prosaïques: un puzzle se met en place. Un rouleau-compresseur je dirais. 
Alors c'est quoi la vie d'Adèle ? C'est le lycée, classe de première, c'est une rencontre avec un garçon, c'est les copines (pour l'instant), c'est plus le garçon, c'est le miroitement quand elle croise les cheveux bleus d'Emma trois secondes dans la rue, c'est les cours, puis c'est la rencontre. Mais comme moi je m'attendais pas à tout ça avant, puisque tout le monde attend la rencontre et la passion alors que le film raconte pas que ça, je cherchais désespérément à comprendre et je crois que la vie d'Adèle, c'est l'histoire de quelqu'un qui s'aperçoit presque toujours qu'elle sait pas comment il faut faire pour que cela soit soit conforme à ce que tous les autres attendent, parce qu'eux ont leur vision arrêtée des choses et qu'ils appellent ça vérité ou c'est ainsi. Adèle, elle regarde toujours et dans son regard elle cherche. Je crois. Donc se succèdent les alternances, pour elle, alors que les autres font croire, et surtout se font croire qu'ils savent. Les cours ? Elle passe de 4 à 15 selon le prof. L'amour ? Elle sort avec son copain, puis non, elle embrasse une fille et espère, puis voit qu'elle a mal interprété. Le miroitement ? Elle croise Emma et ne sait pas ce qu'elle doit en penser. Les livres (omniprésents dans le film) ? Elle adore les lire mais n'aime pas qu'on les décortique. L'art ? Elle n'y connaît rien et l'avoue sans problème. Pendant ce temps, face à elle, les certitudes (sur soi, les pires peut-être): son copain ne lit pas (mais est prêt, par amour, à faire une exception - signe très fort), la fille qui l'embrasse la jette, ses copines si ouvertes dans leurs mots se fermeront dès qu'Adèle deviendra elle-même et pas ce qu'elles veulent qu'elle soit, Emma se retourne et lui sourit quand ça miroite, et ira la chercher après leur première soirée. Et explique l'art sans souci. Eux, ils savent, ils croient se savoir. Bizarrement, le film s'intéresse à celle qui vit sinon plus, du moins autrement: Adèle. Celle qui a une singularité.
Et donc au milieu la rencontre: longtemps après cette rue où l'éclat du bleu aura surgi, il y aura ce bar où enfin elle revoit Emma, et où miracle enfin elles se parlent. Et dès lors le film dévie mais pas tant que ça, par un signe constant: la passion qu'elle découvre, qui lui permet de s'inventer et de s'incarner (d'où la présence de scènes d'amour aussi intenses que les scènes de dialogues: corps et âmes, Adèle ne sépare rien). Enfin une certitude, dans l'océan des alternances ou des doutes: elle veut être avec Emma. Et elle va le faire, le vivre. Mais ayant expérimenté toutes les incertitudes étrangères aux autres, elle va le faire comme on accoste en terrae incognita: parce qu'évidemment les autres savent comment il faut aimer (hétéro ou homo tiennent le même discours, la question n'est dieu merci pas là), donc ils acceptent (mal) ou il faut le cacher (et ça fait mal). Adèle découvre, en incandescant de passion, que cela ne change rien au monde autour d'elle: les parents d'Emma restent les bourgeois cool qu'ils veulent être, les siens restent avec les préjugés qu'elle leur accorde. Les amis d'Emma acceuilleront Adèle, mais comme une personne qui est là, pas en cherchant à savoir qui elle est. Le monde ne change tristement pas. Adèle change, parce qu'elle est singulière. Et donc elle vit plus intensément que chacun: elle ne reste jamais la même après tout ce qu'elle vit. Oui, elle pleure plus, d'ailleurs elle est presque la seule du film à pleurer. Les autres ne pleureront pas, ils croient savoir. Et d'ailleurs, à part Emma (et encore), Adèle sera celle qui avance seule dans le film: au lycée, dans son travail d'instit, dans les fêtes qui sont données, elle sera seule. Parce que la singularité n'est pas la docile tempérance à se nier pour se couler dans le moule que les autres nous offrent en croyant et disant nous accueillir.
Si cette passion est si forte, c'est parce qu'elle est le socle sur lequel Adèle se construira. Puis se détruira, mais cela fait partie de la construction. Les "intacts", ceux qui continuent toujours comme si de rien n'avait été, sont finalement sinon les plus brisés, du moins les plus pauvres, les plus ternes. Pendant qu'Emma ne sait visiblement plus l'aimer comme elle le rêvait, c'est Adèle qui va provoquer la chute. Là encore on peut parfois lire des "c'est incohérent", alors oui dans l'aseptisé c'est incohérent, mais dans le bouillonnement des bourrasques, l'acte qu'il ne faut pas faire et qui est fait, et qui échappe tant à la logique qu'à la compréhension immédiate, ça existe. Et pas qu'un peu. Ca se saurait si les agissements étaient régis par la logique ! Et le rouleau compresseur de Kechiche, qui ne s'est finalement jamais arrêté, ira jusqu'au bout: Adèle au boulot (une part centrale du film, totalement occultée, on nous rabat les oreilles avec les même pas dix minutes de scène d'amour, et rien sur les quarante minutes de scènes au travail, ça sert à rien !), Adèle face à la perte, Adèle face aux conséquences de ce qu'elle a fait pour rien, et sommet d'un film qui accumule les sommets, Adèle retrouvant Emma dans un café, pour l'une des ultimes bourrasques. On se demande comment ça va finir, eh ben ça ira jusqu'au bout, il faut vraiment que le titre du film ait tous ses sens, il les aura. 
Et après ? Ben comme toujours avec les chef-d'oeuvres, les vrais, les puissants, les profonds, les qui remuent vraiment tout, c'est l'étourdissement, c'est les recherches, c'est les petits rouages qui font qu'on a pas vu un film, qu'on a pas passé un "bon moment", que c'était pas "sympa", c'est la sortie des pelles et en avant les instants à creuser, pour quand même se demander ce qu'on va faire de tout ça. L'effet film miroir, qui doit déjà bien marcher pour Kechiche lui-même (je ne connais que lui qui dans ses rarissimes apparitions média cherche ses mots tellement longtemps que ça énerve systématiquement ceux qui l'interrogent, ben ouais quand même quand on pose une question on attend que la réponse qu'on veut croire qu'on sait déjà  surgisse - ah ben à quoi ça sert alors les questions ?), se met en marche pour le spectateur, en tout cas pour moi, et c'est comme souvent le plus beau des cadeaux: un film qui nous suggère de cultiver la singularité en l'alliant aux brûlures les plus intenses et extrêmes, ça ne peut que faire sourire quand on marche dans les rues.

Adèle a vu miroiter les bourrasques, elle a croisé Emma. Elles les a enlacées quand elles ont surgi, elle a aimé Emma absolument. Elles les a vu repartir puisqu'Emma a préféré endormir les tempêtes, elle le lui dira. Mais Adèle, au moins, elle aura vécu tout ça différemment de tous les autres. Et elle recommencera sûrement si elle le peut. Elle a une vie: la sienne, pas celle qu'on lui a donnée ou à laquelle on voudrait la réduire.

Un peu de douceur finale avec le trèèèèèès bel album d'électro du français Ocoeur, c'est parfait pour les petits froids qui s'installent le matin ça...




mercredi 9 octobre 2013

J'ai lu quelques BD du monde entier ou presque

Peu de temps on se dépêche, et puis demain ya cette vie d'Adèle que j'attends depuis si longtemps...

Chine ! Les pieds bandés de Li Kun Wu, auteur désormais célèbre pour Une vie chinoise, m'a bien plus impressionné que ce dernier, déjà par sa construction (il en faut du temps pour voir où il compte nous amener, et bonjour les émotions), ensuite par sa sensibilité, enfin par son thème hallucinant dont j'avoue j'ignorais tout (la tradition des pieds bandés en Chine, donc), et on peut rajouter les graphismes immédiatement identifiables, la présence de l'Histoire qui ici surgit soudainement et lamine tout sur son passage: bref, alors qu'elle est assez courte, cette BD est grande, proche d'une forme de laconisme expansif (eh ouais) d'une justesse aussi terrible que touchante. 



Hong-Kong ! A l'horizon de Lee Chi Hoi est un recueil de nouvelles en noir et blanc, aux dessins poétiques voire tendant vers une forme de métaphore. Des histoires pourtant humaines, de sentiments, de famille,  de doutes sur soi, que les dessins entraînent joliment vers une forme d'universalité. Dans la BD asiatique, voilà clairement une vraie curiosité, je sais pas si d'autres BD de cet auteur sont trouvables, mais faut suivre je pense.






Italie ! Manuele Fior qui avait triomphé avec 5000km par seconde (à travers laquelle j'étais lamentablement passé) revient avec L'entrevue et là enfin j'ai plongé tête la première. Une BD trèèèèès étrange, mêlant science-fiction effleurée (on est dans un futur proche, mais peu a changé sauf politiquement et dans les relations humaines, j'en dis pas plus) et analyse psychologique: un couple âgé se sépare, un ami de l'homme a une maîtresse, l'homme lui qui est psy va faire une étrange rencontre...Bien plus développée que 5000km par seconde, là j'avoue que j'ai été comblé, tant par les mystères que par la réflexion sur les liens humains: faut-il donner ? Se donner ? Se partager ? Se refuser ? La BD répond clairement, et le final, inattendu, ne fait que relancer l'intérêt extrême que mérite ce grand livre à part.

Canada ! Une BD autobiographique aussi originale que surprenant (et réussie) puisque Catherine Doherty avec Peine perdue fait un choix narratif rare: le muet. Donc un jour par hasard elle apprend qu'elle fut adoptée et fait des recherches pour comprendre comment, et pourquoi: et c'est ce flot d'émotions qui est traduit uniquement par les images et leur agencement, mis à part quelques lettres, administratives ou personnelles. Et au final, ça fonctionne parfaitement, ça change, ça étonne, et ça n'en diminue pas les surprises et les émotions, loin de là...




République tchèque ! Anna en cavale de Lucie Lomova nous amène dans une histoire rocambolesque (trop au final, mais bon, on a pas tous les jours l'occasion de découvrir une fille tchèque qui fait des BD), le plus souvent agréable, parfois drôle (un couple sauvé par Vaclav Havel !) et finalement se situant en 1994, et donc aussi reflet d'une époque changeante qui m'a bien fasciné ces dernières années: la renaissance de ces pays de l'est que j'ai un peu exploré. Une curiosité donc, plutôt attachante.





Suède ! La maison de la faim de Lola Karnap et Carl Michael Edenborg est un récit fantastique plutôt rare dans les BD que je lis, dans une ambiance qui m'a rappelé de loin le film Morse: le mélange de classicisme, de réalisme et d'échappées vers le fantastique, ici à travers l'aventure de deux jeunes soeurs. Ambiance oppressante, tant dans le quotidien que dans le mystère, troubles fréquents, doutes: cette courte BD a tous les charmes de l'étrangeté, inquiétante ou pas.





Allemagne ! Pour finir. Le boxeur de Reinhart Kleist raconte l'histoire vraie (et follement impensable) d'un homme qui sort vivant des camps de concentration, devient boxeur par hasard, puis file aux USA pour retrouver son premier amour...romanesque ? Ben déjà c'est vrai (dossier à la fin du livre presque encore plus impressionnant que la BD, ben mince c'est vraiment vrai), et en plus je dis pas tout je cache l'essentiel. Le début et la fin, avec la présence du fils du boxeur, et l'épisode le plus attendu, hallucinant, font vraiment de cette BD, avec jeu de mots facile, un beau coup de poing émotionnel.




La nouvelle ptite sensation rock tendu du moment s'appelle Nadine Shah, et j'y suis allé à reculons, j'ai craint une Ana Calvi bis, eh ben non, l'album est très bien, sombre et explosif mais tout en retenue: belle dame musicale nouvellement venue


dimanche 6 octobre 2013

Zabriskie Point

"- Il contient du borate du gypse.
 - Du borate et du gypse ?
 - C'est scabreux."

Du borate et du gypse ? Et bordel !!

Et Piers Faccini qui chante même en français sur son nouvel album...


mardi 1 octobre 2013

J'ai (enfin) lu quelques BD...

Paradoxe: c'est l'année où je "travaille" pas que j'ai le moins le temps de "lire", car en même temps je "travaille" et "lis" non-stop...
Constat: retour vers le tipi, retour vers les futurs. Merci grand Sachem !


Première des deux BD aux honneurs, une oeuvre à trois mains: Bastien Vives, et le "couple" Rupert-Mulot s'unissent pour un total plaisir, La grande odalisque. Une BD purement réjouissante autour de deux filles puis trois, qui...volent des oeuvres d'art ultra-connues, dans des musées qui ne le sont pas moins. BD follement aventureuse, pleine de trouvailles délirantes pour cambrioler des musées, BD pétillante par le trio ultra-attachant, BD trépidante par l'absence totale de temps mort, donc par la multiplication des temps-vivants, et puis BD haletante par le suspense et les émotions finales, avec en prime cinq dernières pages qui m'ont fait exploser le coeur: ce coup-là, il m'a achevé, il m'a ravi.  




Deuxième honneur, Emmanuel Lepage, pour qui j'ai hurlé mon admiration il y a peu, signe avec Voyage aux îles de la désolation un vrai chef-d'oeuvre de "reportage" BD. Ne pas se fier au titre, ces îles ne sont autres que les minuscules parcelles essentiellement scientifiques que possède la France au bout du pôle Sud, et le dessinateur parvient à avoir une place sur l'un des rares bateaux qui y va, pour que les missions soient renouvelées. Donc après la BD sur Tchernobyl, voici un livre sur des existences heureuses (en tout cas, pas marquées a priori) dans un endroit unique au monde, tant géographiquement qu'historiquement. Et ce livre est une splendeur humaine et visuelle: par son attention à chaque microcosme (le bateau, les communautés scientifiques, les îles) et par les découvertes qu'il fait de la vie, humaine comme animale et biologique, dans ces lieux hors de tout commun. La BD est un voyage au sens le plus fort du terme: un dépaysement absolu, donnant lieu à des rencontres comme à des visions sublimées par certains dessins à tomber. On se relève, gorgés de bonheurs. Un livre indispensable.

Excellente surprise mal partie et malgré le contexte affreux: Les folies bergères de Francis Porcel et Zidrou, avaient beaucoup contre elles au départ: une évocation des horreurs de la guerre 14, en souvent grandes cases: j'avoue qu'au début on a l'impression de tomber sur des imitateurs de Tardi et ça m'emballait moyen. Et puis erreur (chouette !): il y a ici un travail magistral sur les personnages, sur les situations, sur la narration, des échappées troublantes et bouleversantes vers une forme de "fantastique" métaphorique , un art du récit aussi terrifiant que fascinant, des échappées émouvantes vers des flashbacks hors-normes et vraiment humains, la présence en filigrane de Monet dans son jardin, bref une mosaïque plutôt inattendue, dans laquelle surgit constamment une horreur aussi humaine qu'événementielle et graphique insoutenable mais ici nécessaire, et le constat est évident: il y a possibilité de parler et surtout dire autre chose sur cette guerre, en BD, que Tardi. Ce livre est magistral, ce livre fut un choc. Total.

On reste dans la même époque, mais juste avant le déclenchement de la guerre, avec De briques et de sang, de Hautière et François, une BD enquête policière (relativement rare à ma connaissance) dans un lieu à part (j'ai pas vérifié s'il a existé mais je pense), le Familistère des poêles Godin, dans lequel une série de crimes se produit, dans un contexte politique et social très particulier. C'est par l'ambiance graphique et la restitution du contexte historique que cette BD emporte aussi les adhésions, parvenant à dire beaucoup sur certains mondes (ouvrier, communistes, géopolitiques) à travers intrigue et personnages. Une réussite.
 



On reste dans l'Histoire avec Tsiganes de Kkrist Mirror, une BD qui évoque un relatif silence, la présence des roms dans des camps français pendant la guerre 39-45 et...encore après (j'ignorais). A travers l'histoire vraie d'une communauté et d'un curé qui ne fait que gêner les autorités, c'est tout un pan de notre histoire qui se dévoile dans un noir et blanc aussi humain qu'émouvant. Encore une preuve, si besoin était, de la capacité de la BD contemporaine à s'arrimer à la réalité.






On quitte un peu ce contexte, mais pas totalement, avec Dessous de Leela Corman, une étonnante BD américaine sur le début du siècle, et la communauté juive vue à travers deux soeurs: donc une BD également féministe, puisque les questions de l'éducation, de la sexualité, de la liberté,du regard social et/ou masculin sont ici posées. On n'est jamais dans l'exposé sociologique, danger de ce type de BD, mais au contraire emportés par la fougue de vie des deux soeurs, fougue qui les amènera à des existences bien différentes, mais exemplaires d'un temps et d'une façon de regarder les femmes pas si anciens ou révolus.




On finira vers les intimes, avec une BD chinoise de Benjamin, un auteur dont j'avais parlé dans mes vieux blogs, que je retrouve avec plaisir pour Orange, une BD où tous ses tics et tous ses talents se retrouvent: dessins à l'ordinateur très travaillés graphiquement, on dirait les vieux Wong Kar-Waï mis en BD, romantisme échevelé, personnages marginaux débordant de sentiments extrêmes: Benjamin n'a pas changé, et reste à suivre, parce qu'une telle voix venue de Chine est, pour l'instant à ma connaissance, unique.






On finira avec le début d'une série, visiblement complète et pas trop longue, du très très très grand Taiyo Matsumoto, créateur des géniaux Ping-Pong et Amer béton. Le samouraï bambou est un poème graphique autour de la personnalité et du quotidien de ce samouraï surgi de nulle part, avec son sabre en bambou, qui croise le destin d'un jeune garçon, et d'une communauté de l'ancien Tokyo peu prête à accueillir cet énergumène: on retrouve là ces êtres en marge typique des mangas de ce grand auteur, et ces dessins à nul autre pareils, aussi étranges que poétiques, pour un début de série idéal pour les soirées d'automne qui s'annoncent, un récit doux, âpre et magnifique qu'il me tarde déjà de continuer à découvrir...



Jon Hopkins, l'un des plus grands sorciers de la techno avec émotions brut de cordes ou piano, est revenu cet été, un album certes plus techno, mais quand, comme ici, surgissent au bout d'un peu plus d'une minute, les notes d'un piano, moi comme toujours avec lui, ça m'enchante...