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mercredi 31 octobre 2012

Des livres, nous, du mal.

Mon appart est un très bon hôtel pour voyageurs des très petits matins: Mamzelle Dacha fait même sa diva et me fait lever à 4h du matin pour l'accompagner au tram d'en bas, et hier Msieur Seb d'abord il dit non non non trop souvent, et lui au moins il me fait pas lever puisqu'il se lève même pas, enfin vraiment au dernier moment !! Au moins, on n'aura pas été carbonisé de froid, c'est déjà ça !


Une pluie de romans pour ces derniers temps.
Et quelle femme à l'honneur, la pour moi totalement inconnue Darina Al-Joundi, une bombe de l'écriture, enfin de la vie d'abord, puis de sa transcription en mots. Apparemment elle avait fait sensation au théâtre, à Avignon, mais comme jme renseigne peu voire pas sur les livres, je laisse ses mots parler. Ce petit livre, immense, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, est le récit de sa vie, menée fusée-battante. Un déluge d'exaltation, d'amour, de folie, de foi en la vie, de refus de la liberté, un portrait très très haut en couleurs de son père, sa famille, puis rapidement son pays, le Liban alors en pleine guerre, et face à tout ça: elle, et son père en filligrane, qui veut offrir à ses filles toutes les libertés, les éloigner de toute religion, leur donner à vivre, donc. Et c'est ce qu'elle fera, par les drogues, le sexe, l'amour et la violence, les passions, tout ceci raconté dans un tourbillon hallucinant d'à peine cent pages, tourbillon qui nous laisse surtout pas indemne, en plein coeur de tout ça: devant les mots d'une femme hors-normes, qui n'aura eu peur de rien, et nous apprend à tout aimer. Mirifique.
Un virage total, et pourtant combien ces deux livres sont absolument complémentaires. Le maître non pas à penser mais à réfléchir mieux, l'immense JB Pontalis, a écrit l'an dernier sur...le crime. Ah bon ? Zut ? Il est plus dans les sentiments, les doutes, les familles, ses terrains de prédilection ? Bof, va pour le crime. Et ô que oui ! Un jour, le crime reprend sa forme habituelle, un court recueil de court textes, entre essai, lectures, souvenirs et analyses (parfois psych-), et tout ceci se révèle à nouveau - il ne pourra en être autrement grâce à lui - passionnant, éclairant, lumineux. Avec Pontalis - j'ai l'impression de me répéter - on savoure les délicieuses sensations de se dire que tout est profond, et que rien ne saura poser de problèmes insolubles. Voilà donc une plongée dans quelques arcanes non pas du mal, mais des dérapages vers le crime, bref une nouvelle auscultation des détours que certaines vies doivent prendre. Essentiel.



Un détour par l'Albanie pour redécouvrir avec éclats l'oeuvre du grand Ismaïl Kadaré, qui pour moi faisait partie des lus il y a longtemps et laissés de côté. Eh bien y revenir par hasard fut salutaire: d'abord il ne s'arrête jamais d'écrire le monsieur, ensuite je ne me souvenais pas du tout que ses livres étaient aussi mystérieux, aussi enflammés, aussi drôles, aussi subtils, qu'il s'agisse d'histoires d'amour aux lisières du policier et du fantastique (L'accident), d'une métaphore géniale de l'histoire de son pays vue à travers un village et un repas (Le dîner de trop), ou d'un autre amour tortueux et mythique (L'entravée). Des livres courts, très intenses, souvent vertigineux: je crois que je n'en ai pas fini avec ce monsieur, loin de là.




Puisqu'on était près du mal et du crime, et même si Pontalis dit n'en lire jamais, le polar ou plutôt roman noir de chez noir Satan dans le désert de Boston Teran ravira vos nerfs si vous aimez les mettre à l'épreuve. Une poursuite haletante et terrifiante entre l'Amérique et le Mexique, autour de la frontière, d'un côté un flic dont la famille a été massacrée sans raison apparente accompagné d'une ex-junkie, de l'autre des fous furieux sans limite aucune. Au milieu quelques trahisons et vieilles histoires qui remontent. Et au final une déflagration de violence, de peur, de folie furieuse, tellement qu'on se demande constamment si quelqu'un ou quelque chose peut l'arrêter. Pfiou, il secoue, celui-là.

Tant qu'on est pas dans le rigolo, un très bel abécédaire-hommage de Gwenaëlle Aubry, Personne,  consacré à son père, qui lui a sombré, tout en la frôlant constamment, dans sa folie. Bon, a priori là encore le thème ne m'attirait pas des masses, mais outre la forme plutôt originale ici, c'est la beauté de l'écriture et du regard porté sur cet être à la vie très particulière qui touche, direct. Le livre se situe, involontairement je pense, entre le poème et  le puzzle d'une vie difficilement cernable et résumable. Très émouvant.




On finira sur deux très courts romans-coups de poings. D'abord Un dieu, un animal de Jérôme Ferrari est un texte fort et très dense adressé à son personnage, racontant une histoire certes mais surtout entourant par ses mots et ses phrases superbes tant de réalité de notre monde actuel que c'en est difficilement résumable sans réduire le livre qui est vraiment fort. En gros, dire la campagne d'aujourd'hui, un départ vers la guerre, le capitalisme économique, les amours qui pataugent, la famille, tout ça sans vraiment raconter, et en à peine cent pages, eh ben lui il le fait, et magistralement. Parfois ça me faisait aux films de Bruno Dumont, mais souvent c'est vraiment un pur style que cet auteur nous balance: beau, ample, riche, là encore, on ressort pas indemne.

Et on finit avec le très beau L'alcool et la nostalgie de Mathias Enard, récit entre la France et la Russie, entre l'amour, l'amitié et la perte, entre les drogues et l'alcool, entre la rage de vivre, et celle d'écrire ça. Et surtout récit poignant, au sens où c'est comme un coup de poing, non pas envoyé au lecteur, mais en plein dans les sentiments: ceux-là, là, ainsi, il lui fallait les dire. Et les écouter, ça touche et ça grandit. "Quand elle passait près de moi, j'avais l'impression de voir une lumière".




Eh ben ! Après toutes ces émotions, un petit marathon-concert pour bien finir la semaine: demain, ce sont les finalement éternels Godspeed you black emperor que je vais voir, et ça c'est un événement dans ma vie. Vendredi, enfin samedi, enfin de minuit à 6h du mat je m'en vais voir Agoria qui mixe toute la nuit. Et samedi je me repose mais pas trop quand même devant les excellents Farewell Poetry et leur post-rock, justement, poétique (ya une fille qui parle ! - cette phrase est pour Roxane)Si vous êtes pas très amateur des longues intros, passer directement à 2'40 !



mardi 30 octobre 2012

Après l'été 2012

Cet été, quelques semaines, lorsque je marchais aux côtés d'une fleur ("Et on aurait que j'aurais rien dit, vu que je marche à côté d'elle...") c'était un peu ma petite révolution à moi. Et finalement j'ai pas eu la tête coupée. Cela m'a juste confirmé qu'au perdu, je préfère toujours l'inoubliable vécu.


 
La révolution ou la révolte, au coeur du nouveau film d'Olivier Assayas, vu en avant-première, en présence du réalisateur (Ah, te voilà donc enfin, toi !), de Clément Métayer et de Carole Combes, deux des jeunes acteurs (beuh...elle est pas là Lola Creton ??). 
Après Mai, c'est un mix réussi et étonnant entre L'eau Froide (même époque, mêmes noms des personnages), le beau livre autobiographique d'Assayas Une adolescence dans l'après-mai, et selon moi les traces lumineuses du cinéma de la compagne du monsieur, l'extraordinairement géniale Mia Hansen-Love. Un film autour d'un jeune révolté qui va devenir cinéaste (ah ouais ?!) dans ce début des années 70 ultra-politisé. Un film à tiroirs donc, brassant découverte de l'art, activisme post soixante-huitard, amitié, engagements, amours, fêtes, défaites, toute une époque rarement montrée, en tout cas jamais comme ça. Une reconstitution à des galaxies du film historique à la noix, une vérité de jeu sidérante, une atmosphère à part, des ellipses assez radicales, et ces étonnants passages dans une nature lumineuse, pour des moments parfois humainement assez sombres. 
Au final, un très bon film plein de subtilité, qui illustre une époque bien plus violente qu'on aime à la présenter, un quasi-documentaire irradié de fiction et de souvenirs, qui ne donne aucune leçon, mais enseigne à tout va. Précieux.



Documentaire justement avec celui de Yolande Zauberman, Would you have sex with an arab ? Le conflit israëlo-palestinien vu à travers l'intimité, la même question posée à des habitants plutôt jeunes, des deux bords (même trois), dans des fêtes ou leur quotidien. Et très vite c'est passionnant, ça amène un regard troublant sur les liens entre notre personnalité, notre histoire, et le monde. Les interviewés sont absolument passionnants, riches en diversité de point de vue, souvent bigrement sensibles ("je ne fais pas l'amour avec une identité"...), intelligents...et pourtant parfois perdus. C'est le tableau d'un monde à part, collision entre les purs sentiments, le désir et la politique. Une totale réussite, qui n'en finit plus de provoquer des interrogations. Et un générique bouleversant, puisque trois des plus incroyables personnalités croisées ici sont, déjà, mortes. Mine d'or.

Et moi je reste amoureux de Françoiz Breut, dont le nouvel album est as always, excellent. Ici, minimalisme, mais maximaliste en coup de foudre..à venir: un spécial romans bien copieux, et des concerts, parce que cette semaine en est truffée...




Happy birds

   
Cela s'appellerait un retour ?! Alors on débutera par un souvenir, assez proche: le titre de l'article, ce n'est pas que par rapport au film, c'est pour (me) rappeler qu'il y a donc dans le monde une fille capable de me faire jouer à Angry Birds. Certes il a fallu aller un peu loin pour le savoir, mais à elle seule elle en valait la peine - non, à elle seule elle en valait la joie ! Donc grâce à ce jeu, j'aurais connu ma passante, mais mieux que celle de Baudelaire: la mienne elle est restée 2h30 à mes côtés, m'a fait découvrir un joli petit morceau d'inoubliable ("Tell me a story ! - Which one ??!! - This one !- et là je me suis évanoui - mais ya que moi qui ai le souvenir du geste hé hé...), et m'a appris que dans un tel bus, on pouvait pas faire l'amour, alors on a juste fait de l'amour.
   
                                          
                                                       
Un dimanche glacial au cinéma en compagnie de mon ptit gars et de son grand copain, pour un regard bien intrigué et plutôt méfiant sur Le jour des corneilles, de Jean-Christophe Dessaint. Je sais pas d'où ça sort, je crains le trop pour enfant, tout faux, c'est magique, magnifique et pour une fois ça se hisse, du point de vue de la richesse de regards pouvant être portés dessus, au niveau de ce que seule l'Asie sait faire. Ticket très gagnant.
Un petit garçon et son ogre de père vivent dans les bois, ont un langage bien à eux (certaines expressions sont savoureuses), chassent et vaquent. Pas loin, il y a ce que le père appelle l'Outremonde, où il est interdit d'aller sous peine de disparaître. le petit garçon côtoie parfois d'étranges animaux à corps humain, muets mais complices. Et un jour, le père se blesse gravement, les animaux montrent le chemin: là-bas, il faut désormais y aller. Et là-bas, c'est chez nous: un village, probablement entouré de la guerre, qui ne sera ici qu'effleurée et c'est tant mieux, cela aurait déstabilisé le film.
Car désormais, c'est un double-parcours qui nous est offert, celui de la découverte du monde, ses bassesses (les vieux et vieilles encore acharnés envers le passé qui se dévoile), ses humanités (le bon docteur), ses révélations foudroyantes (Manon, la délicieuse et géniale fille du docteur), ses remises en question (la vie de son père, son attitude), et ce passé étrange qui peu à peu prend sens. Ne reste que la question centrale: on va vivre comment, maintenant ?
D'une richesse phénoménale, tant graphique que par rapport aux multiples thèmes abordés (le deuil, l'amour, l'identité), ce dessin animé de très haut niveau se hausse à sa manière très différente au niveau du très beau et très troublant Ame et Yuki les enfants loups que l'on avait vu en début d'été. Deux films pour enfants et ex-enfants qui pose de manière brillante, cruelle et douce, la question de l'identité au coeur même de l'enfance. Waow ! Ca fait vraiment du bien de pouvoir partager ça, ces choses-là, avec mon bonhomme. les oiseaux peuvent continuer à sourire. Longtemps.

Il n'y en avait qu'une qui pouvait oser ça, et réussir...