Paradoxe: c'est l'année où je "travaille" pas que j'ai le moins le temps de "lire", car en même temps je "travaille" et "lis" non-stop...
Constat: retour vers le tipi, retour vers les futurs. Merci grand Sachem !
Première des deux BD aux honneurs, une oeuvre à trois mains: Bastien Vives, et le "couple" Rupert-Mulot s'unissent pour un total plaisir, La grande odalisque. Une BD purement réjouissante autour de deux filles puis trois, qui...volent des oeuvres d'art ultra-connues, dans des musées qui ne le sont pas moins. BD follement aventureuse, pleine de trouvailles délirantes pour cambrioler des musées, BD pétillante par le trio ultra-attachant, BD trépidante par l'absence totale de temps mort, donc par la multiplication des temps-vivants, et puis BD haletante par le suspense et les émotions finales, avec en prime cinq dernières pages qui m'ont fait exploser le coeur: ce coup-là, il m'a achevé, il m'a ravi.
Deuxième honneur, Emmanuel Lepage, pour qui j'ai hurlé mon admiration il y a peu, signe avec Voyage aux îles de la désolation un vrai chef-d'oeuvre de "reportage" BD. Ne pas se fier au titre, ces îles ne sont autres que les minuscules parcelles essentiellement scientifiques que possède la France au bout du pôle Sud, et le dessinateur parvient à avoir une place sur l'un des rares bateaux qui y va, pour que les missions soient renouvelées. Donc après la BD sur Tchernobyl, voici un livre sur des existences heureuses (en tout cas, pas marquées a priori) dans un endroit unique au monde, tant géographiquement qu'historiquement. Et ce livre est une splendeur humaine et visuelle: par son attention à chaque microcosme (le bateau, les communautés scientifiques, les îles) et par les découvertes qu'il fait de la vie, humaine comme animale et biologique, dans ces lieux hors de tout commun. La BD est un voyage au sens le plus fort du terme: un dépaysement absolu, donnant lieu à des rencontres comme à des visions sublimées par certains dessins à tomber. On se relève, gorgés de bonheurs. Un livre indispensable.
Excellente surprise mal partie et malgré le contexte affreux: Les folies bergères de Francis Porcel et Zidrou, avaient beaucoup contre elles au départ: une évocation des horreurs de la guerre 14, en souvent grandes cases: j'avoue qu'au début on a l'impression de tomber sur des imitateurs de Tardi et ça m'emballait moyen. Et puis erreur (chouette !): il y a ici un travail magistral sur les personnages, sur les situations, sur la narration, des échappées troublantes et bouleversantes vers une forme de "fantastique" métaphorique , un art du récit aussi terrifiant que fascinant, des échappées émouvantes vers des flashbacks hors-normes et vraiment humains, la présence en filigrane de Monet dans son jardin, bref une mosaïque plutôt inattendue, dans laquelle surgit constamment une horreur aussi humaine qu'événementielle et graphique insoutenable mais ici nécessaire, et le constat est évident: il y a possibilité de parler et surtout dire autre chose sur cette guerre, en BD, que Tardi. Ce livre est magistral, ce livre fut un choc. Total.
On reste dans la même époque, mais juste avant le déclenchement de la guerre, avec De briques et de sang, de Hautière et François, une BD enquête policière (relativement rare à ma connaissance) dans un lieu à part (j'ai pas vérifié s'il a existé mais je pense), le Familistère des poêles Godin, dans lequel une série de crimes se produit, dans un contexte politique et social très particulier. C'est par l'ambiance graphique et la restitution du contexte historique que cette BD emporte aussi les adhésions, parvenant à dire beaucoup sur certains mondes (ouvrier, communistes, géopolitiques) à travers intrigue et personnages. Une réussite.
On reste dans l'Histoire avec Tsiganes de Kkrist Mirror, une BD qui évoque un relatif silence, la présence des roms dans des camps français pendant la guerre 39-45 et...encore après (j'ignorais). A travers l'histoire vraie d'une communauté et d'un curé qui ne fait que gêner les autorités, c'est tout un pan de notre histoire qui se dévoile dans un noir et blanc aussi humain qu'émouvant. Encore une preuve, si besoin était, de la capacité de la BD contemporaine à s'arrimer à la réalité.
On quitte un peu ce contexte, mais pas totalement, avec Dessous de Leela Corman, une étonnante BD américaine sur le début du siècle, et la communauté juive vue à travers deux soeurs: donc une BD également féministe, puisque les questions de l'éducation, de la sexualité, de la liberté,du regard social et/ou masculin sont ici posées. On n'est jamais dans l'exposé sociologique, danger de ce type de BD, mais au contraire emportés par la fougue de vie des deux soeurs, fougue qui les amènera à des existences bien différentes, mais exemplaires d'un temps et d'une façon de regarder les femmes pas si anciens ou révolus.
On finira vers les intimes, avec une BD chinoise de Benjamin, un auteur dont j'avais parlé dans mes vieux blogs, que je retrouve avec plaisir pour Orange, une BD où tous ses tics et tous ses talents se retrouvent: dessins à l'ordinateur très travaillés graphiquement, on dirait les vieux Wong Kar-Waï mis en BD, romantisme échevelé, personnages marginaux débordant de sentiments extrêmes: Benjamin n'a pas changé, et reste à suivre, parce qu'une telle voix venue de Chine est, pour l'instant à ma connaissance, unique.
On finira avec le début d'une série, visiblement complète et pas trop longue, du très très très grand Taiyo Matsumoto, créateur des géniaux Ping-Pong et Amer béton. Le samouraï bambou est un poème graphique autour de la personnalité et du quotidien de ce samouraï surgi de nulle part, avec son sabre en bambou, qui croise le destin d'un jeune garçon, et d'une communauté de l'ancien Tokyo peu prête à accueillir cet énergumène: on retrouve là ces êtres en marge typique des mangas de ce grand auteur, et ces dessins à nul autre pareils, aussi étranges que poétiques, pour un début de série idéal pour les soirées d'automne qui s'annoncent, un récit doux, âpre et magnifique qu'il me tarde déjà de continuer à découvrir...
Jon Hopkins, l'un des plus grands sorciers de la techno avec émotions brut de cordes ou piano, est revenu cet été, un album certes plus techno, mais quand, comme ici, surgissent au bout d'un peu plus d'une minute, les notes d'un piano, moi comme toujours avec lui, ça m'enchante...
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