"Alors qu'assez trempés nous obstinions, tenace
Moi dans mon burberry ruisselant de la face
Sous ton manteau de plui' toi, conservant au sec
Le trésor de tes seins et tes cuisses avec
Il me vint tout à coup une idée mirifique"
Et une première dans mes années de blogs, me voici à parler d'un...recueil de poèmes, sachant que je ne sais absolument pas lire la poésie, encore moins en parler. Mais c'est un livre génialissime, et c'est monsieur Jacques Roubaud, alors...
Quelques souvenirs d'abord...monsieur Roubaud, 80 ans au compteur et une folle jeunesse (au sens de fraîcheur) d'esprit et d'écriture, je l'ai vu en conférence dans une salle je sais pas où il y a surement plus de quinze ans: je sais pas ce que je faisais là, je vais jamais à la moindre conférence (Ah si j'ai aussi vu Derrida et Louis-René des Forêts mais c'est tout !), mais donc en un sens je l'ai "vu". Roubaud c'est aussi quelques livres de lui jamais lus mais fort intrigants, dont mon plus précieux est un joli "album" (c'en est pas un) autour de la peinture de Constable: très beau, pas lu ! Et il y a un an et demi, c'est la décision casse-gueule et totalement irréfléchie de balancer au boulot son recueil Quelque chose noir sans évidemment l'avoir lu: j'ai bien galéré pendant les vacances, j'ai bien rien compris, j'ai bien flippé et puis...ce fut magique ! Une poésie assez ardue en apparence, coulant d'intelligence et d'inattendu en fait. Ya eu des échos !
Là, grâce à Marie Richeux (Marie Richeux je t'aime !), l'an dernier j'entends parler avec délices de son dernier ouvrage: Ode à la ligne 29 des autobus parisiens. Mis à part que comme toujours il se renouvelle absolument (une qualité artistique et humaine que je continue de vénérer), j'avais bien noté dans ma tête ce livre que, puisque recueil de poèmes, je ne lirai jamais. Et il y a peu il me tend les bras à la bibliothèque: quitte à ne pas le lire, autant le prendre et le ramener dans trois semaines !
Par acquis de conscience je feuillette: qu'est-ce que c'est encore que ça ??!! Orthographe non respectée, typographie bizarre pleine de blancs bizarres, plein de décalages, et en prime c'est écrit en plusieurs couleurs: noir, bleu, rouge, vert, mauve, gris, et j'en passe...moi je souris...un petit coup d'oeil sur une précision liminaire: les contraintes, tradition chez Roubaud puisque membre de l'OULIPO: c'est écrit en alexandrins, et les couleurs correspondent en fait à son goût des digressions, pour aider la lecture: il la conseille à voix haute...
Par réel acquis de conscience, je lis le début et là: c'est génial. Bien sûr il faut un léger temps d'adaptation, à la disposition, à l'orthographe et aux digressions: mais très vite, cet aspect ludique force le ravissement, tant le texte fourmille d'inventions. Et alors là, c'est clair, c'est parti: en fait Roubaud monte dans l'autobus 29, à Paris, et traverse l'intégralité de la ligne, chaque arrêt est une étape de l'ode.
Oh mais que c'est inventif, drôle, très drôle, beau, très beau, surprenant, très surprenant, ça emporte comme un torrent mais qui se donnerait les aspects d'un ruisseau. C'est modeste, humble, tout en allusion, mais derrière chaque vers brille la plus limpide intelligence: celle qui la ramène pas. Virtuosité totale, offerte en simplicité comme naturelle. Alors on traversera une ville, son présent et son passé, on rendra hommage en clin d'oeil à une multitude d'artistes, on croisera les passagers, les gens de la vie de Roubaud sans jamais que cela soit dit explicitement, on parlera de magasins, de glaces, de la mode grunge (passage faramineux de drôlerie), de l'enfance, de la vieillesse, il y aura même une petite aventure dans ce bus, on brassera finalement tout ce qui fait le sel de la vie, dans ses grandeurs comme dans son quotidien le plus anodin en apparence. Et on ressort du court livre gonflé à bloc, avec la seule envie d'aller vers du peu pour y déceler le grand (réciproque à vérifier !), mais toujours d'aller, de considérer nos bouts d'existence comme des promenades guidées par le parfum délicieux de l'ouverture d'esprit d'un monsieur de 80 ans chez qui tout pétille encore. Une ligne de bus, et tout repart toujours...probablement ma plus belle lecture de l'année, pour l'instant.
"Je suis le révolu het je suis la présence
Au sein d'un même corps de deux expéri-ence
Contradictoires."
Et un bon vieux Tricky des familles pour musique, ça a bien dix ans déjà ça.
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