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mercredi 18 septembre 2013

Plainement indien (Psycho-bonheur de l'existence de Boris, au passage)





C'est peut-être pas le grand scoop de mon blog que la sortie d'un film de Desplechin, 5 ans après le Conte de Noël, me fasse, disons, vivre un peu plus. C'est pas un grand secret non plus de s'apercevoir que finalement, depuis ce mercredi décisif de mes 17 ans, son cinéma reste un des très rares (le seul probablement) liens "humains" traversant les années entre ce lointain de la jeunesse et mes aujourd'hui. C'est aussi dérisoire que magique, c'est ainsi.
Depuis donc plus de vingt ans, la technique devant ses films m'est toujours identique: première vision, je comprends strictement rien. Deuxième vision, je comprends l'histoire en gros. Troisième vision, je commence à percevoir les infinités de sens saturant chaque scène. Après, pour vraiment commencer à réfléchir, j'attends la sortie en DVD. En gros, c'est ma boîte de Pandore inépuisable: miam. Et mon récurrent appel à changer: miam miam.
Jimmy P., Psychothérapie d'un indien des plaines, est donc l'adaptation du seul livre au monde (apparemment) relatant du début à la fin, une psychanalyse. Rédigé par Georges Devereux, un électron libre du milieu (tellement intenable qu'il fuyait visiblement vers les marges constamment), on a donc là un matériau a priori très peu cinématographique: ça se filme, une psychanalyse ? C'est là déjà que j'ai commencé à avoir tout faux...
Sortie du film, me voici me voilà, et puis au bout des deux heures, je ressors un peu perturbé: ben mince alors, j'ai compris le film. Ca tournoie dans ma tête: j'ai vieilli ? Mûri ? Changé ? Ou c'est lui ? J'en viens même à me poser une question qui m'est assez étrangère, totalement avec Desplechin: J'aurais pas aimé ? J'aurais aimé ? Ce serait moins bien ? Une décision était déjà prise, inutile de retourner le voir (une première pour moi en plus de vingt ans !), le film est très ardu, me parle assez peu (oh là là j'ai vraiment changé-mûri-vieilli, et faut pas oublier son vieil adage, "quand tu mûris, tu tombes et puis tu pourris"), me fait penser à ces Truffaut arides mais beaux (La chambre verte, L'enfant sauvage), et puis trotte dans ma tête aussi que je viens de revoir La sirène du Mississipi et Les deux anglaises et le continent, deux Truffaut qui se sont fait démonter à leur sortie, totalement incompris, et qu'ils m'ont mis par terre, alors que je les avais déjà vus. Me demande toujours si je reproduirais pas les mêmes aveuglements involontaires. Fin du premier acte.
Deuxième acte, le réalisateur parle une heure à la radio, avec une psy, du rapport entre psychanalyse et cinéma: et là, fusées dans la tête: tout ce qu'ils disent sur le film, je l'ai pas vu, je savais même pas (les liens entre la psychanalyse et le médical dans les années 1948, désolé, jconnais pas, cet hôpital célèbre je savais pas non plus, qui était vraiment Devereux et ce qu'il représentait dans le milieu, ce Jimmy P. dont on ne saura jamais l'identité mais qui a fait naître aussi Devereux, parce quand on rencontre quelqu'un si c'est vraiment une rencontre, on se fait mutuellement exister autrement, les liens sociaux peuvent rien contre ça), en prime ils délirent tous deux sur un des films de Hitchcock les plus mal considérés à sa sortie et vus ensuite par certains comme un immense film - Pas de printemps pour Marnie - et  là je commence à m'apercevoir que, comme à chaque fois, les images et l'histoire que j'ai regardé cachent une infinité de sens derrière elles: oh oh oh, me serais-je une nouvelle fois fait avoir ? Je serais passé devant la mine d'or sans la voir ?
Troisième acte, bousculades dans le cerveau: j'y ai vu quoi moi dans ce film ? De l'épars: j'ai pioché dans tous les sens, mais finalement il me dépasse dans son ensemble: ah ! ça, j'aime ! Alors au hasard, et ça intéressera pas grand monde, j'y ai vu une inversion des rôles traditionnels d'Amalric, qui de fou devient guérisseur, mais finalement est aussi fou puisque mal vu par son milieu professionnel - il n'a qu'un seul "patient" ! ; un film policier sans crime ni résolution, une enquête sur le plus anodin et le plus infini: l'âme d'un être humain, son cerveau, sa psyché; une manière de filmer les indiens rarissime au cinéma - inspirée d'un film inconnu et absolument incroyable de 1961, The exiles de Kent Mc Kenzie, que j'avais vu avant, rarissime oeuvre américaine parlant et montrant vraiment des indiens - et pas dans une réserve; donc du respect ému et touché pour les humbles, les rejetés, les outcast, tant les malades que les indiens que les blessés de guerre que les électrons libres d'un milieu: et quand on regarde le cinéma majoritaire, quand s'y pose-t-il encore la question de ceux qu'on ne regarde jamais ?; une attention très douce et très forte au fait qu'on ne peut pas se comprendre et que tout rapport à l'autre est un rapport aidant; à travers quelques scènes brèves mais pour moi inoubliables, une très belle esquisse d'une forme de lien "amoureux" vécu dans toute sa différence, entre le personnage d'Amalric et sa maîtresse: quelques minutes dans l'ensemble du film, quelques traces comme des pas sur le sable menant aux lointains des mers; une croyance folle, démesurée dans le cinéma, se dire, à l'époque - qui a toujours existé mais connaît des pics parfois - des films à budget et éclats visuels, que filmer deux hommes qui se rencontrent dans le désert de leur vie, ça reste l'aventure ultime; un regard doux et bon sur les humains - pas si inattendu chez Desplechin parce que finalement défauts et qualités sont chez lui regardés avec la même acceptation; et je pourrais mettre quelques etc...
Mais voilà, au non-final, je crois que, tout seul avec mon film de lui parce que je crois qu'il est le cinéaste que je peux le moins partager (traduction = j'ai fait chier tout le monde avec lui depuis vingt ans, donc j'ai fini par me taire pour laisser les gens tranquilles), j'ai finalement, une nouvelle fois, et sans m'en apercevoir, vécu la même expérience que d'habitude: il me dépasse, et fuyant la question de j'ai aimé ou pas, je dois changer mon regard, réorienté mes yeux, faire dévier mon cerveau pour arriver devant ce qu'il suggère, et que je suis libre d'apprécier ou pas. Et voilà, j'ai donc été amené délicatement ou violemment à ce que je considère comme la meilleure des expériences: j'ai dû changer, grâce et à cause de quelqu'un, pour mieux me découvrir. Je n'ai dès lors plus qu'une démarche à faire pour commencer à comprendre tout cela: retourner voir le film. Comme d'habitude. Différemment d'à chaque fois.

(Je me demande si tout ce que j'ai écrit sur le film peut pas être lu comme une métaphore totalement involontaire et un contournement de quelque chose que je dois pas faire et que je fais sans problème. Waow...)


Et c'est le retour miraculeux du prince du "hip-hop" (dira-t-on) mélancolique et tourmenté: Soso, pour un nouvel album à l'image de ses meilleurs: magistral.


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