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mardi 3 décembre 2013

J'ai lu quelques BD

Alors au menu des délires labyrinthiques, de l'enfance et de l'adolescence et de la politique.



La BD italienne n'en finit pas de me régaler, et quelle avalanche de bonheurs en tournant les pages de Le monsieur aux couleurs, de Roberto La Forgia, probablement le lecture BD la plus marquante de ce lot. Dans des dessins simplifiés (?) aux couleurs rares et doubles, orange/noir en gros, l'auteur recrée génialement une période souvent malmenée ou infantilisée (in)justement: l'enfance, ici représentée par trois copains, deux de dix ans, un de sept ans, avec parfois l'irruption de quelques filles, quelques parents, et un libraire BD qui donne son titre au livre. L'enfance se recrée ici grandiosement par le langage et les préoccupations, nul angélisme, des discussions sexuelles infinies d'un réalisme aussi génial que drôle (l'enfance, c'est pas titeuf ici, hallellujah !), des situations, tant dans les moments creux qu'importants, mis sur le même plan, traitées avec une délicatesse ne refusant aucun hurlement de rire ou gorge se serrant, bref une maestria tant dans les dialogues, la psychologie que la construction du récit (car on pense à une sorte de succession de scènes avant de voir une cohérence et un sens aussi calculé que terrible) qui font de cette BD une des plus fortes, drôles et belles (car ici cela ne s'oppose pas - certains passages sont vraiment bouleversants) que j'ai lues autour de l'enfance. Fabuleux.

Bien plus courte et sur un thème bien plus classique en BD contemporaine, l'adolescence, A strange day de Tatiana Gill et Damon Hurd s'avère une excellente surprise dans un domaine pourtant fort balisé. Le récit ici s'occupe d'une journée, même pas: le jour où sort un nouvel album des Cure (période pré-internet, où la sortie d'un disque avait encore une portée potentiellement magique), un fan sèche le lycée pour se planter devant le magasin avant l'ouverture...et y rencontre une fan...Matériau simple qui va pourtant donner lieu à une vraie et forte histoire, qui arrive en pourtant peu de pages à distiller une atmosphère particulière et assez unique. J'avoue, j'y croyais peu, j'avoue, je l'ai refermée tout troublé.



On continue avec Pages intérieures de Stéphane Courvoisier et Jacky Beneteaud, une BD assez courte mais assez marquante pour qui aime les histoires à la Borges, les rencontres amoureuses imprévues, la science-fiction de façade, et les bibliothèques...donc en gros, on est dans le futur (mais pendant un tiers de la BD on le sait pas !), dans une bibliothèque où un homme va rencontrer une femme...à partir de cette trame somme toute plutôt mince, le récit va s'engouffrer dans des recoins, des coïncidences troublantes, des phrases énigmatiques rédigées au début vont peu à peu prendre sens, des jeux temporels se faire jour, et on va se retrouver dans une belle histoire qui progresse et tourne en rond, qui rappelle que le temps c'est mystérieux parfois, et qui na va pas finir de ne pas finir...à la fois classique et très bien réinventée, voilà une lecture idéale de soirée d'hiver.

Maître absolu de la BD délirante, Marc-Antoine Mathieu a repoussé toutes les limites imaginées avec sa série de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, série que je n'ai jamais lue mais dont souvent on m'a parlé. C'est par erreur que j'ai pris le tome 5 (c'était pas marqué, ya "pas" de couverture !), Le décalage,  donc chaque tome est aussi indépendant, parce qu'il y avait un autocollant qui m'a bien fait rire: "page 40: anomalies normales" ! On commence donc en lisant la non-couverture qui est la page 7, et là c'est parti pour une folie aussi géniale que profonde, un jeu constant sur ce que peut être une histoire en BD, surtout quand comme ici il y a un petit problème, et puis ben oui à la page 40 les pages sont découpées et tout est disons "normal" et puis plus on va vers la fin plus on va de surprise en surprise (il a pensé à tout ce mec !), et on "finit" l'histoire sur la quatrième de non-couverture, et on sourit vraiment. Cette série, disons au moins ce tome, est vraiment le cadeau absolu pour tout amateur d'étrangeté ou de BD. Magistral !


On finit sur de la politique avec le Pierre Goldman, la vie d'un autre, une BD d'Emmanuel Moynot (un voisin de palier presque !) qui m'a laissé perplexe. Au lieu de reconstituer l'affaire et l'époque comme c'est assez traditionnel dans ce genre, Moynot s'attache presque exclusivement au mystère Pierre Goldman, le suivant imaginairement  (mais à travers son livre et des interviews contemporaines présentes tout au long de la BD) pour non pas éclaircir, mais exposer. On est donc plongé dans ce qui peut être vu comme la fin de mai 68 (en 1979, quand même !) à travers la fin d'une vie et d'un individu, et à travers lui le vecteur de nombreuses questions humaines et politiques. BD très troublante donc, parce que ce n'est pas rien que d'accepter de conserver des zones d'ombre autour d'un événement et d'un homme qui n'aura cessé d'en générer...

En hommage à ces années 60-70, la magie d'une chanson d'Anna Karina chez le magicien Godard...m'en lasserai jamais de celle-là...


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